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Samedi 19 avril : Etat contre ‘Ndrangheta

L’Etat :
Vendredi 19 avril 2008, la Guardia di Finanza a saisi des biens appartenant à Biagio Barberio, 34 ans. Membre de la ‘ndrine Chirillo de Paterno Calabro dans les environs de Cosenza, il a été condamné à 2 ans et 8 mois de prison pour association mafieuse. L’enquête portant sur le noyau familial, a établi une très grande disproportion entre les revenus et le niveau de vie de la famille en question.
Les militaires ont saisi une grande entreprise de matériaux agricoles et un immeuble en phase d’achèvement et comportant de luxueuses finitions. Le tout est estimé à un million d’euros.
Pour la seule province de Cosenza et depuis quatre mois, la justice a saisi quarante millions d’euros de biens à la mafia calabraise. C’est la seule manière de lutter contre le pouvoir mafieux. Il ne faut pas se mettre à leur niveau.

La mafia :
Par exemple, vendredi 19 avril, il est 9h du matin. Giulio Cesare Passafero, 40 ans sort d’un café sur la place centrale de Borgia dans la province de Catanzaro. Il prend sa voiture et n’a pas le temps de faire marche arrière. Les portes d’un fourgon s’ouvrent et les balles d’une mitraillette claquent. En fin de matinée, les carabiniers ont retrouvé le fourgon carbonisé. Sur ce territoire, ce type de meurtre est signé par la ‘Ndrangheta.
Au mois de septembre, le frère de la victime avait déjà été assassiné. Le compte n’était pas encore réglé.

La mafia napolitaine dans le quartier de Scampia

scampia mafiaLundi 16 avril 2008, il est 16h, dans le quartier populaire de Scampia au nord de la ville de Naples (photo à gauche,) et quartier de Gomorra, le livre. Des tueurs tirent sur Salvatore Cipolletta dans la tempe et dans le dos. La victime, âgée de 36 ans, avait des antécédents pénaux pour usure, extorsion, vol à main armée et trafic de drogue (cf. De la Camorra et des cols blancs). Il appartenait au clan Amato-Pagano que l’on nomme aussi les « Espagnols » parce qu’ils se sont réfugiés, un temps, en Espagne (on les voit dans Gomorra, le film). La victime était donc alliée au groupe des « Sécessionnistes » qui s’est séparé de la tutelle de clan Di Lauro. Après les arrestations du boss Paolo di Lauro et de ses fils en 2005, les «Espagnols» se sont placés du côté des vainqueurs.
Avec ce meurtre, le clan Di lauro tente de reprendre aux « Sécessionnistes » une place dans le domaine de la vente de drogue. En effet, le meurtre a eu lieu dans la rue Labriola, lotissement G, un endroit isolé entre deux grands immeubles de type HLM. Cette zone est régulièrement transformée en « fortins » par la Camorra à l’aide de murs d’enceinte, de portails renforcés et de caméras de surveillance.

C’est le 24ème meurtre de Camorra depuis le début l’année (cf. Les clans de la Camorra en recomposition)

De la Calabre aux élections législatives

Mardi 8 avril 2008, il est 20h30 à Stefanaconi dans la province de Vibo Valentia en Calabre quand Antonio Lopreito, 46 ans, sort de son magasin. Un tueur s’approche et tire huit coup, avec un pistolet 7,65, dans le thorax puis dans la tête. La victime est un commerçant en matériaux de construction. Il avait antécédents pénaux. Il s’agit troisième crime mafieux en quelques mois dans une commune qui compte 3 000 habitants. Dans cette zone, deux ‘ndrines, les Bonavota et les Petrolo, se disputent le contrôle du territoire.

Par exemple, au mois d’octobre 2007, Michele Penna, 30 ans, affilié à la ‘ndrine Petrolo-Bartolotta a disparu. Les enquêteurs sont certains qu’il s’agit d’une Lupara bianca, une disparition mafieuse. Il semble que le chef de la ‘ndrine en question ait fait assassiner Michele Penna parce que celui-ci entretenait une relation amoureuse avec la femme du chef de famille. Michele Penna n’a pas été tué pour des principes moraux. Il a été tué car « se taper » la femme du chef constituait le premier acte de défiance envers l’autorité chef. En réalité, Michele Penna projetait de constituer sa propre ‘ndrine !

L’adultère n’est pas toujours puni de mort dans la mafia. A contrario, un autre chef de famille laissait un de ses soldats s’amuser avec sa femme. Le jeune mafieux étaient un excellent tueur.
Le 9 avril 2008, la police a arrêté l’auteur présumé du meurtre de Giuseppe Cavallo survenu le 25 mars (art. 23) et qui s’inscrit dans la faida de Crotone (art.27). Le présumé assassin, Andrea Corrado est âgé de vingt ans et serait affilié à la ’ndrine Megna qui se dispute le territoire de Panapice avec la ‘ndrine Russelli.

Par ailleurs, le 11 avril 2008, la Garde des finances à saisi des biens pour une valeur de deux millions d’euros au capo-bastone Cermelo Lo Bianco de Vibo Valentia. Parmi les biens en questions, il y a des installations thermo-hydraulique, trois appartements et des actions de société. Cette saisie fait suite à l’opération « New sunrise » qui a frappé la ‘ndrine Lo Bianco l’année dernière.

A l’approche des élections législatives prévues dimanche 13 et lundi 14 avril, le ministre de l’Intérieur révèle que la ‘Ndrangheta tente d’acheter des votes auprès des électeurs. Certaines ‘ndrines contrôleraient 50 000 voix (article).

La seule question est : une fois qu’un politicien aura été condamné, son parti aura t-il le courage de l’exclure ? Car à y regarder de plus prés, nombres de candidats, en particulier au centre-droit sont déjà condamnés. C’est le cas de Silvio Berlusconi, Marcello Dell’Utri, Salvatore Cuffaro (sur la photo)… d’autres comme Saverio Romano, Salvatore Cintola, Calogero Mannino, Gusy Savarino sont actuellement poursuivi par la justice.

Mais comment donc le prochain gouvernement de centre-droit pourra t-il lutter contre les mafias ?

La ‘Ndrangheta s’offre un « cadavre exquis » avant les élections.

Carte Calabre

Mercredi 26 mars 2008, à 10h du matin, sur la route entre Catanzaro et Lamezia Terme, une voiture s’approche d’une berline allemande. Au volant de celle-ci, Giuseppe Longo, un entrepreneur, reçoit deux coups de fusil en pleine tête. Il s’agit d’une signature mafieuse. Giuseppe Longo, originaire de Soverato en Calabre, est l’administrateur de la Tecnovese qui opère dans toute la région. Il gérait le chantier de la route qui doit traverser la serre de Vibo qui sépare la côte ionienne de la côte tyrrhénienne. Le chantier est estimé à plusieurs dizaine de millions d’euros. La Tecnovese est aussi liée à la Sorical qui gèrent la distribution hydrique en Calabre.

Giuseppe Longo n’a pas de casier judiciaire mais il est très lié au monde de la politique. Son beau-frère, Francesco Severino est le représentant des Démocrates de gauche (Ds) dans la ville de Soverato. Il est aussi candidat aux élections provinciales de Catanzaro.

Première hypothèse : l’entrepreneur venait de remporter des appels d’offres que certains clans pensaient obtenir.

Deuxième hypothèse : le message de la ‘Ndrangheta aux politiciens

L’heure du meurtre, à 10h du matin en plein trafic ; le lieu, une route nationale reliant deux grandes villes et l’utilisation du fusil signifie qu’en cas de victoire aux élections, la gauche n’a pas intérêt à remettre en cause les accords passés.

Pour la mafia, la violence est un langage.

D’ailleurs, le 6 février, la victime avait participé à une rencontre avec le ministre des infrastructures et l’assesseur au budget de la région Calabre. A l’issu de la réunion, un financement de 138 millions d’euros a été accordé par Rome pour achever quatre lots de la route en question.

D’autres crédits pour la Calabre ont été accordés récemment. Nous y reviendrons. Une lutte féroce a peut-être débuté au sein des clans comme à Crotone (cf. art. 23).


[1] En 2005, la mafia calabraise avait fait assassiner le vice Président de la région Calabre. Le meurtre avait eu lieu le jour des primaires organisées par la gauche pour désigner leur candidat aux élections de 2006 (cf. art. 1). Le meurtre avait eut lieu dans le bureau de vote et en pleine journée. Le message était : « si vous gagner les élections, rien de doit changer ».

La guerre des ‘ndrines de Crotone n’épargne pas les enfants

Samedi 22 mars 2008, au moins cinq tueurs ont abattu Luca Megna, 37 ans et régent de la ‘ndrine Megna. Un ‘ndrine est une famille mafieuse calabraise. Le père de Luca, Domenico Megna est le capo-bastone de cette ‘ndrine qui contrôle le territoire de Panapice, un bourg à la périphérie de Crotone, une ville sur le versant ionnien de la Calabre. Le capo-bastone, actuellement en prison, est soumis au régime carcéral strict régi par l’article 41 du code de procédure pénal. Les tueurs ont blessé légèrement l’épouse. En revanche, la fille du boss, âgée de cinq ans, a reçu une balle dans la tête. Les médecins ont peu d’espoir de sauver l’enfant.

Le plus grave n’est le geste de la mafia calabraise, qui en tuant, est dans son rôle. Le plus grave est la réaction des institutions. Le Président de la Calabre se dit indigné « par la blessure d’une enfant innocente. » Le Président de l’Observatoire pour les respects des droits des mineurs a lancé un appel pour que « les hommes de la ‘Ndrangheta épargnent les enfants ».

1. Non, la mafia n’a jamais épargné ni les femmes ni les enfants.
2. On ne doit pas laisser la mafia faire croire cela car c’est lui donner du consensus social.
3. La mafia doit continuer à montrer son vrai visage, y compris en tuant des enfants.
4. C’est le seul moyen pour que la population se débarrasse des mafieux.

Epilogue : un guerre de clan a débuté.
La réponse du clan Megna ne s’est pas fait attendre. Mardi 25 mars 2008, Giuseppe Cavallo, 27 ans a été assassiné par deux jeunes tueurs à moto. Ils ont mis un coup de grâce dans la nuque de la victime. Il s’agit d’une signature mafieuse typique. Dans la voiture, la femme et l’enfant de deux ans était présent. Il faut dire que l’épouse de Giuseppe Cavallo a un lien de parenté à la ’ndrine Ruselli, rivale des Megna….

Bonne nuit Graziella

Voir "violence" et "latitanza" dans le Petit dictionnaire énervé de la mafiaLe 18 mars, La Cour d’assise d’appel a confirmé la condamnation à vie des mafieux Gerlano Alberti (Jr) et Giovanni Sutera. En 1987, ces derniers avaient assassiné Graziella Campagna, 17 ans. La photo à gauche la représente peu de temps avant son décès. L’Etat italien a mis six ans à lui rendre justice. La mafia n’est pas le seul acteur de la société à avoir porté atteinte à cette jeune femme.

Les faits :
Un jour de décembre de 1985, la jeune femme travaillait dans une blanchisserie. Dans la poche d’une chemise, elle découvre des documents compromettant la « latitanza », la cavale, de Gerlando Alberti dans la région de Messine. Alberti était un chef mafieux très puissant. Il fit assassiner la jeune femme de cinq coups de fusil de chasse, lui défigurant volontairement le visage.

La mafia parle à la population :
La mise en scène de la cruauté constituaient un avertissement contre toutes personnes ayant des velléités de citoyenneté.

Graziella a été tué quatre fois :

  • Une première fois par Cosa nostra le 12 décembre 1985.
  • Une seconde fois par l’Etat italien. Après ce meurtre, ni les institutions ni la presse, n’ont cherché à résoudre ce crime odieux. Il semble que la région de Messine était un lieu de repli pour les trois mafias italiennes. Des complicités au sein des institutions ont passé leur temps à commettre des actes de « dépistages », terme italien pour indiquer l’altération des preuves et le conditionnement de la justice pour empêcher la manifestation de la vérité. L’enquête n’a été réouverte qu’en 1997; grâce à l’obstination du frère de la victime.
  • Un troisième fois par la justice « escargot » italienne. En 2006, les prévenus avaient été libérés parce que les délais légaux de leur détention provisoire étaient dépassés (comme dans le cas de Giuseppe Riina, cf. art. 14).
  • Une quatrième fois par le ministre de la justice. Au mois de novembre 2007, Clemente Mastella avait reporté la diffusion d’un téléfilm racontant l’histoire de Graziella. D’après lui, cette fiction télévisée conditionnait la bonne marche du procès en cours. Comment la vie d’une jeune femme de 17 ans aurait-elle pu altérer le principe d’un procès juste et équitable? Les mafieux n’ont-ils pas disposé des meilleurs avocats et de ressources économiques colossales pour assurer leur défense? Nous remarquerons que le ministre de la justice italienne raisonne comme les mafieux (cf. art. 18). Dans une autre affaire, des mafieux, par le bais de leurs avocats, ont attaqué le journaliste Saviano, considérant que ses articles conditionnaient leur procès!

Enfin, Clemente Mastella est le sénateur qui a fait chuter le gouvernement de centre-gauche au mois de janvier dernier. L’ancien ministre de la justice, mis en examen pour des délits de fraude, ne se sentait pas soutenu par ses camarades politiques. Si, comme les sondages le signalent, Silvio Berlusconi est élu au mois d’avril, Clemente Mastella aura contribué activement à remettre au pouvoir un homme politique dont la carrière doit beaucoup à la mafia (Na n°35 cf2r.org ).

Graziella a été assassiné quatre fois parce que les personnes chargées de lui rendre justice n’ont pas accompli leur mission. Elles ont assuré 23 ans d’impunité à la mafia et ont renforcé son pouvoir.

Leçon de légalité par un collégien et un handicapé mental

Le 10 août 2007, un tueur, envoyé par le clan Di Lauro, a assassiné Nunzio Cangiano, 46 ans, appartenant au clan des « sécessionnistes » de Secondigliano dans la périphérie nord de Naples. Du point de vue de la logique mafieuse, Nunzio Cangiano, aurait eu le tort de passer du côté du clan Amato-Pagano, « les sécessionnistes », qui semblent sortir vainqueur de leur affrontement avec les Di Lauro. Ces derniers ont donc tué Nunzio Cangiano pour sa trahison. On appelle cela la « violence programmée » (Umberto Santino-Csd). Le tueur, Mario Buono, 22 ans, s’est présenté devant un parc d’attraction et a froidement tiré sur le camorriste qui attendait dans la file, avec sa femme et ses enfants.

Un témoin, âgé de 13 ans, a reconnu le tueur et a accepté de collaborer avec la justice. Vous pouvez retrouver les détails folkloriques de ce témoignage dans un article de Libération.
Le jeune témoin est désormais protégé dans un lieu tenu secret par peur des représailles. Il va au collège et joue au Football quelque part dans une localité du Nord de l’Italie. Les mauvaises langues prétendent que cette nouvelle vie est une chance pour l’adolescent courageux. Le milieu dont il provient est bien plus défavorisé. C’est sans tenir compte que sa vie est à jamais bouleversée.
Sur les territoires de la mafia, ce type de collaboration est rare. Cependant, le 18 novembre 2006, un jeune homme de 20 ans, atteint du syndrome de Down, a reconnu un tueur de la Camorra lors d’un meurtre survenu à Castellamare di Stabia (littoral napolitain). Les juges ont déclaré son témoignage crédible et ils ont accepté qu’il témoigne prochainement devant la Cour d’Assise.
Le comportement de ces deux citoyens est en totale contradiction avec celui des politiciens italiens. Le gouvernement Berlusconi, de 2001 à 2006, a promulgué plusieurs lois favorisant la mafia comme celle du rapatriement des capitaux blanchis à l’étranger. En 2006, le centre-gauche avait été élu sur la promesse d’abroger ces lois. Depuis 21 mois, les électeurs attendent ces réformes.
En Italie, un adolescent et un handicapé mental donnent des leçons de courage et de légalité à la classe politique.

Les clans de la Camorra en recomposition

carte camorra mafiaDepuis la fin du mois d’octobre 2006, la Camorra, la mafia de la Campanie (Naples et sa région), connaît une recrudescence de violence avec douze assassinats perpétrés en deux mois. Cela porte à soixante-quinze le nombre de meurtres intervenus depuis le début de l’année. A l’image de la France – où une note des Renseignements généraux annonçait des tensions à l’occasion de l’anniversaire des émeutes d’octobre/novembre 2005 – en Italie, le rapport semestriel des services de renseignement envoyé au Parlement faisait état d’un risque de reprise des affrontements entre les différents clans. Si dans le premier cas, les prédictions se sont révélées alarmistes (mais toutes les mesures avaient été prises par les forces de police pour éviter un nouveau déchaînement de violence), dans le deuxième, elles se sont avérées justes.

Le 22 octobre, des tueurs tirent, au milieu de la foule dans le quartier de San Giovanni, à Teduccio et abattent Salvatore Attanasio (37 ans), une personne surveillée par la police. Le même jour, Antonio Invito, un chanteur de 36 ans est assassiné en raison de ses activités de vente de stupéfiants à Acerra, une ville de la grande banlieue Est.

Le 23 octobre, dans un parc au nord de la ville, Umberto Autiero, un jeune homme de 25 ans, est assassiné à son tour.

Le 26 octobre, Ciro De Falco, 42 ans, membre de haut rang du clan De Sena-Di Fiore tombe dans un guet-apens à Acerra.

Le 27 octobre, toujours au milieu de la foule, à Torre del Greco (une ville de la banlieue sud), Luigi Loffredo est abattu.

Le 28 octobre, Patricia Marino, 65 ans, issu d’une famille de la Camorra proche du clan Di Lauro est assassinée. Au nom de la guerre des clans, elle avait déjà perdu son mari, dix ans auparavant, et ses deux enfants, en juin dernier.

Le 30 octobre, une embuscade en plein centre de Naples a raison de Vincenzo Prestigiacomo, gendre d’Umberto Misso, le frère du chef de clan Giuseppe Misso (quartier de la Sanità).

Le 31 octobre, à Torre del Greco, une ville de la banlieue sud, deux repris de justice sont assassinés. L’un d’entre eux, Adriano Cirillo (37 ans) était à peine sorti de prison en raison de la grande politique de remise de peine initiée par le gouvernement Prodi. Il semble que ce meurtre soit la réponse à celui de Luigi Loffredo. Le même jour, à Sant’Antimo, Rodolfo Pacilio (36 ans) est tué très certainement en raison de son activité en tant que propriétaire d’une petite entreprise de location de jeux vidéo.

Le 8 novembre, Pasquale Russo, 41 ans, proche du clan Pianese1 est abattu par des tueurs cachés dans une ambulance volée le 1 er novembre.

Les enquêteurs ont des difficultés à savoir si ces meurtres sont le résultat d’une guerre entre clans ou au sein même d’une entité mafieuse.

Les raisons structurelles

La Camorra est une mafia constituée de clans. Elle n’a jamais réussi à se doter d’une organisation centralisée stable. Des clans
coexistent sur un même territoire, forment parfois des coalitions puis s’entredéchirent. Selon le rapport du premier semestre 2005 de la Direction des enquêtes antimafia, une centaine de clans
contrôlent en grande partie la Campanie. Il y aurait environ 7 000 Camorristes et au moins 50 000 « associés » pour une population de 5,8 millions d’habitants.

La région est divisée en six grandes zones d’influence :

  • la province du Benevento ;
  • la province d’Avellino ;
  • la province de Salerno ;
  • la province de Caserte, fief du clan des Casalesi de Casal di Prinicipe ;
  • la province de Naples : 63 communes sur 92 sont aux mains des Camorristes2 ;
  • la ville de Naples qui compte environ 3 millions d’habitants.

A Naples, l’« Alliance de Secondigliano », du nom des quartiers populaires du Nord de la ville, regroupe les clans Mallardo, Liciardi, Bochetti, Lo Russo, Contini et Di Lauro. Cependant, cette coalition n’est plus stable depuis une sanglante scission survenue dans les années 2004-2005. Les derniers meurtres en sont peut-être la conséquence, en particulier celui de Patricia Marino.

En face, un cartel fait des clans Mazarella-Misso-Sarno domine en partie le centre ville. Il avait déjà remporté une première guerre contre les clans de Secondigliano en 1998. Depuis, un pacte de non-agression avait été conclu. Cependant, il semble que le conflit se soit rallumé, surtout en raison du meurtre d’un membre
de la famille Misso.

Dans un entretien, le procureur en chef du pôle anti-Camorra n’a pas mâché ses mots : « les clans s’entretuent pour le trafic de drogue et en particulier pour celui de la cocaïne ». En vertu de la règle du contrôle de territoire qui régit tout clan mafieux, ils s’entretuent pour obtenir l’exclusivité des points de vente.

D’après une estimation de la Direction centrale du service de lutte contre la drogue dépendant du ministère de l’Intérieur, un chef qui investit un million d’euros en gagne quatre au minimum, et cela, sans même tenir compte de la coupe du produit.

Tous les clans font dans la drogue parce qu’ils disposent de trente ans d’expérience dans l’approvisionnement direct auprès des producteurs de coca (Bolivie, Pérou et Colombie) et auprès des pays tiers que sont le Venezuela, le Brésil et l’Espagne. Avec le démantèlement de la French Connection en 1974, la Cosa nostra sicilienne exporta 90% de l’héroïne aux Etats-Unis jusqu’au milieu des années quatre-vingt. A la fin des années soixante-dix, la Camorra s’engouffra dans la cocaïne. De nos jours, les clans camorristes payent le kilo de cocaïne très pure, de 3 000 à 5 000 euros ce qui est considéré comme un prix très peu élevé.

L’étude de l’âge des personnes assassinées révèle un rajeunissement de la criminalité mafieuse. A côté des vieux boss – décédés ou en prison -, une nouvelle génération de chefs aux méthodes expéditives voit le jour. En outre, d’après la déclaration du repenti Salvatore Puglia – un ancien grand trafiquant de drogue – les
principaux chefs ont changé de stratégie. Ils ne gèrent plus le trafic en première ligne, mais préfèrent encaisser un loyer mensuel entre 2 000 et 3 000 euros.

Le racket change aussi de forme. Avant, « il pizzo » était demandé trois fois par an : à Noêl, à Pâques et à l’Assomption. Désormais les clans veulent un paiement mensuel. Enfin, la frontière est de plus en plus floue entre la Camorra et la criminalité ordinaire, dans la mesure où les clans camorristes tentent de monopoliser le secteur des vols, en particulier à main armée.

La main-d’œuvre est facile à trouver avec un taux de chômage qui atteint 30% de la population napolitaine. Dans certains quartiers, les trois quarts des jeunes sont sans travail. Ces facteurs criminogènes exacerbent vraisemblablement les rivalités et expliquent en partie les meurtres actuels.

O’ Sistema, le « système »

En Calabre, le mot ‘Ndrangheta a toujours été peu utilisé par les mafieux qui préfèrent parler de « società » – la « société » – ce qui en dit long sur le caractère holistique de la mafia calabraise.

A Naples, la Camorra est en train de devenir « il sistema ». Dans cette société qui possède une plèbe unique en Europe, la pauvreté repose sur un système de lutte de tous contre tous. D’aucuns peuvent être contraints à chercher la protection des plus violents. 120 000 personnes très pauvres font face à une minorité de riches qui accumulent des patrimoines sans favoriser le développement et qui font de la politique afin que les rapports sociaux ne changent pas. Les dernières élections municipales en 2006 ont d’ailleurs démontré l’influence camorriste dans certains quartiers. Des témoignages ont fait état de votes achetés par les mafieux au prix de 50 à 70 euros le vote.

Dans les années 1990, l’antimafia avait le vent en poupe, au point que l’ex président de l’ancien Observatoire de la Camorra, Antonio Lamberti, était devenu président de la province Naples. Il avait mis fin à la pratique des parkings abusifs, une spécialité italienne. Mais, il ne put jamais abolir la pratique des vendeurs ambulants illégaux, parce que la Camorra ne le voulait pas. De même, lorsqu’il fit peindre des lignes pour les emplacements du marché, ce sont les employés communaux qui firent capoter ce projet parce que ces derniers se livraient également au commerce illégal.

A Naples comme en Sicile et en Calabre, l’envoi de l’armée ne permet pas d’endiguer le phénomène mafieux. En effet, les politiciens et les fonctionnaires, qui sont censés protéger la population de la corruption, sont souvent les premiers à demander des allocations illégales ou des faveurs illégitimes. Dans ces trois régions, les fonctionnaires sont quatre fois trop nombreux, car les politiques achètent un certain consensus via le clientélisme. En conséquence, les « combines » sont omniprésentes. Par exemple, les pêcheurs de Pozzuoli obtiennent de l’essence détaxée, mais la revendent au marché noir.

Depuis plusieurs années, sous l’influence de la Camorra, « il sistema » étend ainsi son emprise. Les mafieux se dissimulent à peine. Après avoir dérobé un camion de charcuterie, le Camorriste de Pompei, Pasquale Cirillo, publie par voie de presse l’annonce d’une « foire au saucisson ». Pendant une journée entière, des particuliers, des restaurateurs et des commerçants ambulants viennent acheter de la marchandise volée.

De même, dans le secteur de la construction, dès qu’un chantier débute, les inspecteurs de la Camorra demandent aux « O masto », les chefs de travaux, de payer la « taxe ». En cas de refus, les soldats de la Camorra tirent sur les ouvriers et alimentent ainsi la chronique judiciaire.

Ces faits ont été confirmés par le repenti Franco Albin. Il a raconté que dans les collines de Naples, à peine un chantier débutait, des coups de feu étaient tirés à fin d’intimidation. Puis, le propriétaire de l’entreprise responsable du chantier était invité au bar afin de lui expliquer que beaucoup d’« amis à nous » étaient en prison et qu’une somme s’élevant à 5% du marché public conviendrait à assurer sa protection.

Par ailleurs, il a été prouvé que le métro de Naples a été l’objet de négociations entre les habitants, les Camorristes protecteurs, les propriétaires des entreprises du bâtiment et les politiques. Les réunions avaient lieu dans les locaux des administrations et les accords étaient élaborés à l’aide des ordinateurs municipaux.

Le plus grave est le monde la santé où des immenses hôpitaux sont toujours pleins. Les pauvres y meurent et les riches vont se faire soigner dans le Nord ou en Suisse. Des enquêtes de magistrature font état d’une centaine de médecins impliqués dans un trafic de fausses ordonnances3.

Enfin, la Camorra est spécialisée dans le ramassage des ordures et dans le traitement illégal des déchets. Une partie des revenus de « l’Ecomafia » repose sur les millions que lui donne l’administration pour faire enlever les ordures. Or, les entreprises de la Camorra enterrent les déchets en pleine nature dans l’arrière-pays napolitain. Quant aux citoyens du Nord de l’Italie, qui voient les Napolitains comme des « voleurs », ils oublient un peu vite que ce sont les entreprises du Nord
qui pactisent avec les Camorristes pour se débarrasser de leurs déchets toxiques en les enterrant ou en les brûlant.

Plus inquiétant, la relève de l’élite napolitaine semble avoir déjà pris des contacts avec la pègre. Des élèves du lycée le plus huppé de Naples ont conclu un pacte avec des petits caïds qui veulent entrer dans les boîtes de nuits branchées. Le jeune de bonne famille y fait entrer le caïd qui, en échange, passe à tabac un de ses ennemis personnels, une ex-petite amie ou encore un groupe de jeunes gens qui l’importunent. Que se passera-t-il lorsque le premier sera assis sur les bancs du conseil municipal et le second appartiendra à un clan ?


1Dont le chef Nicola Pianese avait été assassiné le 14 septembre dernier.

2Estimation de la DIA, premier semestre 2005.

3La santé est un monde clef pour les mafias : le vice-Président de la région Calabre assassiné l’année dernière était médecin, tout comme son assassin(cf.L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux). Le Président de la région Sicile est un médecin accusé de favoriser la mafia et le chef de la mafia sicilienne, Bernardo Provenzano, était protégé – entre autres – par des médecins.

L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux

Le dimanche 16 octobre 2005, à 17 h 22, un véhicule s’arrête devant un bâtiment public à Locri, en Calabre (sud de l’Italie). Un homme, à demi masqué, un pistolet à la main, parcourt quelques mètres avant de tirer cinq coups à bout portant sur Francesco Fortugno, 54 ans, vice-président de la région de Calabre. Puis, le tueur retourne sans précipitation vers la voiture, conduite par un complice.

Tous les éléments, de la méthode à la cible, en passant par le contexte, font de cet homicide un crime de type mafieux et un acte de violence programmee. En effet, face à un tel professionnalisme, un règlement de compte d’ordre privé est impossible. Par ailleurs, au cours de cette exécution, rien n’a été laissé au hasard. Le lieu, la date, la cible et a fortiori le mobile sont autant de messages de la part de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, en direction du pouvoir politique.

Le lieu et la date

La région de la Locride, dans le sud de la Calabre, est une des zones les plus mafieuses d’Italie. Au cours de ces 13 derniers mois, 22 homicides y ont été commis dont 20 n’ont toujours pas été élucidés. A Locri, le contrôle du territoire est exercé par les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises), expertes dans la gestion des rapports de pouvoir et de politique. Un tel meurtre nécessite donc une « autorisation » de leur part.

L’endroit précis du meurtre constitue un premier message : il s’agit du Palais Nieddu, un très beau bâtiment situé en plein centre ville, où se tiennent de nombreux séminaires. Si les tueurs avaient recherché la discrétion, ils auraient accompli leur forfait sur le trajet de la cible, c’est-à-dire sur la route qui relie le domicile de Brancaleone à Locri, entre la montagne et la mer Ionienne.

En outre, les tueurs ont opéré un dimanche, en plein jour, à un moment où ils ne pouvaient pas profiter des habitudes professionnelles de la cible. Ce jour-là, la victime est restée une heure à discuter avec des amis après avoir voté. Il est donc fort probable qu’elle ait été suivie toute la journée et qu’une personne présente à l’intérieur du bâtiment ait donné le signal. Enfin, la date est capitale puisqu’il s’agissait des primaires au sein de la coalition de gauche nommée « l’Unione », en vue des élections législatives du printemps 2006. En ce dimanche d’élection, en plein centre ville et devant témoins, cet acte criminel est avant tout la démonstration que cette association criminelle peut frapper n’importe où, n’importe quand et surtout n’importe qui ; en particulier un homme politique.

La cible et le mobile

Fortugno qui a un lien de parenté avec la famille Laganà – une dynastie de démocrates-chrétiens députée en Calabre – est à l’origine médecin chef des hôpitaux. Secrétaire d’un syndicat de médecins (CISL), il est devenu référent pour les questions de santé du parti de gauche, la « Marguerite », dans sa région, la Calabre. Au printemps 2005, il a été élu au sein de l’assemblée régionale, puis au dernier moment de la précédente législature, il a remplacé au poste de vice-président un collègue élu député.

Dans un premier temps, le procureur s’est intéressé aux activités que Fortugno exerçait au sein de l’hôpital de Locri, où sont encore employés sa femme et son frère. En 2004, des fournisseurs et des responsables hospitaliers ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur une escroquerie concernant les fournitures. Un climat de violence s’était alors installé (agressions, etc.).

Dans un second temps, les enquêteurs suivent la piste de l’engagement politique de Fortugno vis-à-vis du monde de la santé. A la mi-octobre, le président de la Calabre avait été menacé pour avoir annoncé, parmi d’autres réformes, le renouvellement des dirigeants d’entreprises publiques de santé. Cette décision aurait entraîné la modification du déroulement et de l’attribution des adjudications publiques. Celles-ci sont en effet régies par des amitiés et des liens nés de nombreuses années d’ententes économico-politiques.

Aussitôt élu, Francesco Fortugno a été donc associé à la nomination des dirigeants des entreprises de santé, en majorité sous tutelle de la région. A l’occasion de cet événement, des sources proches de l’exécutif régional confient qu’il y eut de « fortes pressions ». Les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises) ont fait pression pour que les décisions ne soient pas prises avant le printemps prochain et ont fait savoir que lors des élections régionales de 2006, elles voteraient massivement pour la droite.

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