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Opération « Héraclès » à Crotone
Dimanche 6 avril 2008, trois cents policiers ont arrêté une quarantaine de personnes impliquées dans la guerre des ‘ndrines de Crotone (cf. La guerre des ‘ndrines s’étend à la province de Crotone?); mini carte la province à gauche.
Les personnes arrêtées appartiennent aux familles mafieuses Corigliano, Vrenna et Bonaventura qui serait liées aux ‘ndrines Nenna et Russelli. Ces dernières se disputent avec la ‘ndrine Megna « il locale » de Panapice. Le « locale » est la circonscription mafieuse calabraise qui regroupe plusieurs ‘ndrines. Cela équivaut au « mandamento » pour Cosa nostra sicilienne. Il est encore un peu tôt pour savoir la composition exacte des alliances en vigueur (cf. La guerre des ‘ndrines de Crotone n’épargne pas les enfants).
Les mafieux sont mis en examen pour association mafieuse, homicides, extorsions, trafic d’arme et trafic de stupéfiants. Il apparaît que les ‘ndrines en question sont en rapport d’affaire permanent avec les ‘ndrines de Reggio et la criminalité organisée albanaise. Cette dernière apparaît, comme le fournisseur d’armes et d’explosives. En effet, parmi ces mafieux se trouvent les responsables d’un attentat manqué contre un magistrat calabrais. Le juge enquêtait sur un un attentat à la bombe contre un magasin appartenant à la femme d’un inspecteur de police.
D’après la commission parlementaire antimafia, la ‘Ndrangheta est la mafia la plus dangereuse car elle riche et subversive (Cpa). Elle est présente dans toute l’Italie comme en témoignent les arrestations dans le centre de la Péninsule.
Un chantier de travaux publics saisi en Calabre
Lundi 30 mars 2008, la direction provinciale antimafia de Reggio a procédé à la fermeture du chantier concernant les travaux de la route 106 qui longe la côte ionienne de la Calabre. Les magistrats ont découvert que le ciment n’était pas conforme à celui prévu par les appels d’offre de l’Anas, l’agence nationale des autoroutes. Au cours de leur enquête, les carabiniers ont découvert que les entreprises, domiciliées en Sicile et dans le centre de l’Italie, auraient commis des faux pour déjouer les contrôles de l’Anas. Ces mêmes entreprises se fournissaient en matériaux auprès de sociétés appartenant aux ‘ndrines, les familles mafieuses de la zone. Les carabiniers ont procédé à la saisie de la totalité du chantier afin de prélever des échantillons de ciment et d’éplucher la comptabilité. Six personnes sont mises en examen pour fraude aux marchés publics et escroqueries contre l’Etat avec la circonstance aggravante d’avoir favorisé des organisations mafieuses. L’enquête a débuté après une série d’actes de vandalisme et d’incendie sur le matériel du chantier. Il s’agit de la stratégie mafieuse pour extorquer aux entreprises, des fonds, des contrats de fournitures ou des contrats de sous-traitance. Le « piratage » des adjudications de travaux publics est une activité fondamentale pour les mafias. Elle permet de capter l’argent de l’Etat, de blanchir des capitaux. Enfin, l’obtention d’appels d’offre revêt un caractère central dans le contrôle du territoire par les clans mafieux.
Les ‘ndrines et le consensus social
Pendant que l’Etat patine, le chef de la ‘ndrine, Domenico Megna, incarcéré pour purger une peine de 26 ans de prison et dont le fils a été tué samedi 22 mars (cf. art. 23) tente de montrer sa puissance. Pour communiquer avec les autres capi-bastone, il se manifeste par l’intermédiaire de sa fille qui s’est exprimée au journal télévisé de la première chaîne publique italienne (Tg1). « mon père veut la paix… j’ai pardonné aux assassins de mon frère et il faut prier pour ma nièce toujours dans le coma »
Il n’est pas acceptable que les mafieux appellent à la paix. Ils sont responsables de la violence. La ‘ndrine Megna a déjà commis un acte de vengeance. D’après les enquêteurs, elle a fait assassiner Francesco Capicchiano jeudi dernier (cf. art 27). Ce dernier était un des membres du commando qui a tué Luca Megna. En effet, la victime, avant d’être criblé de balles, a tenté une manœuvre au volant de sa voiture. Il aurait percuté un de ses tueurs. Celui-ci touché au genou s’est fait soigner à l’hôpital de Castrovillari sous un nom d’emprunt. Un médecin a reconnu Francesco Capicchiano sur une photo et a fait une déposition à la police.
1. Les familles mafieuses ont des complicités. Une personne de l’hôpital a prévenu le clan Megna que Francesco Capicchiano était bessé au genou.
2. Les chefs mafieux, pourtant soumis au régime carcéral strict (l’art.41 bis du code de procédure pénale italien), font entendre leur voix au journal de 20h !3. En faisant justice lui-même, le clan Megna conteste le monopole étatique de l’usage de la violence.
4. En appelant à la paix, le chef mafieux tente d’entretenir son statut de personne influente sur son territoire. Si la paix venait à être instaurée, il augmenterait son capital de consensus social auprès de la popultion.
5. Dans une démocratie, seul l’Etat est fondé à rendre la justice.
La guerre des ‘ndrines s’étend à la province de Crotone?
Jeudi 27 mars 2008, à Isola Capo Rizzuto, une petite ville de 15 000 habitants sur la côte ionienne, Francesco Capicchiano, 33 ans marche dans la rue. Il porte une arme mais n’a pas le temps de s’en servir. Deux jeunes hommes l’assassinent de plusieurs coup de revolver à bout portant. Ce meurtre est-il le signe d’une nouvelle faida au sien des ‘ndrines d’Isola Capo Rizzuto ?
La famille de la victime est traditionnellement en opposition à la très puissante ‘ndrine Arena. Ces deux clans se sont livrés, pendant des années à une lutte sans merci. Au mois d’octobre 2004, Carmine Arena, un des capo-bastone historique de la ‘ndrine Arena avait été assassiné. Les meurtriers avaient utilisé un lance-roquettes pour perforer la Lancia blindée de la victime. Depuis deux ans, les parties avaient, cependant, trouvé un accord.
Plus probablement, le meurtre de Francesco Capiccchiano est la suite de la guerre commencée à Crotone samedi dernier (cf. art. 23). En effet, dans le cadre d’enquête sur le meurtre de Luca Megna, les policiers ont arrêté le propriétaire du revolver laissé sur les lieux du crime. Celui-ci, résidant en Emilie Romagne, est originaire de Capo Rizzuto. Il semble donc que le conflit entre les ‘ndrines de Crotone s’étendent à toute la province. Francesco Capicchiano est probablement un des tueurs de Luca Megna.
Enfin, à Seminara, dans la province de Reggio en Calabre, Silvestro Galati, un jeune de vingt ans a été assassiné. Son tort était d’être le fiancé de la fille de Carmine Santaiti, présumé chef de la ‘ndrine du même nom.
Ces faits démontrent que le prochain gouvernement doit faire de la mafia une priorité politique. A l’appel du journaliste Roberto Saviano qui affirmait que les candidats ne parlaient de mafia (cf. art. 19), le centre-gauche a voulu répondre présent. Le leader de la coalition, Walter Weltroni s’est rendu en Sicile. Massino d’Alema a défendu le bilan de la lutte antimafia depuis deux ans.
Nous attendons la réaction de Silvio Berlusconi…
Pâques en Calabre
Ce chef de ‘ndrine, la famille mafieuse calabraise, se cachait dans un refuge bunker (cf. art.10). La photo en haut représente l’entrée d’un autre bunker. Cet abri était situé sous le sol d’une villa, lui même recouvert d’une cheminée. Sa famille avait rejoint cette maison pour fêter le dimanche de Pâques. Il s’agit de la même villa dans laquelle avait été arrêté son frère, Carmelo en 1992.
La police a saisi un viseur nocturne, un scanner et des détecteurs de « micros-espion » comme de caméras à circuit fermé. Ces objets sont les nouvelles armes des policiers pour retrouver les mafieux en cavale.
Le mafieux a donc été trahi par son envie de voir sa famille. Les policiers, eux, n’ont pas pu fêter Pâques avec la leur, de famille.
La guerre des ‘ndrines de Crotone n’épargne pas les enfants
Samedi 22 mars 2008, au moins cinq tueurs ont abattu Luca Megna, 37 ans et régent de la ‘ndrine Megna. Un ‘ndrine est une famille mafieuse calabraise. Le père de Luca, Domenico Megna est le capo-bastone de cette ‘ndrine qui contrôle le territoire de Panapice, un bourg à la périphérie de Crotone, une ville sur le versant ionnien de la Calabre. Le capo-bastone, actuellement en prison, est soumis au régime carcéral strict régi par l’article 41 du code de procédure pénal. Les tueurs ont blessé légèrement l’épouse. En revanche, la fille du boss, âgée de cinq ans, a reçu une balle dans la tête. Les médecins ont peu d’espoir de sauver l’enfant.
Le plus grave n’est le geste de la mafia calabraise, qui en tuant, est dans son rôle. Le plus grave est la réaction des institutions. Le Président de la Calabre se dit indigné « par la blessure d’une enfant innocente. » Le Président de l’Observatoire pour les respects des droits des mineurs a lancé un appel pour que « les hommes de la ‘Ndrangheta épargnent les enfants ».
1. Non, la mafia n’a jamais épargné ni les femmes ni les enfants.
2. On ne doit pas laisser la mafia faire croire cela car c’est lui donner du consensus social.
3. La mafia doit continuer à montrer son vrai visage, y compris en tuant des enfants.
4. C’est le seul moyen pour que la population se débarrasse des mafieux.
La réponse du clan Megna ne s’est pas fait attendre. Mardi 25 mars 2008, Giuseppe Cavallo, 27 ans a été assassiné par deux jeunes tueurs à moto. Ils ont mis un coup de grâce dans la nuque de la victime. Il s’agit d’une signature mafieuse typique. Dans la voiture, la femme et l’enfant de deux ans était présent. Il faut dire que l’épouse de Giuseppe Cavallo a un lien de parenté à la ’ndrine Ruselli, rivale des Megna….
Un réseaux politico-mafieux démantelé
Le 18 mars 2008, la Direction départementale antimafia de Catanzaro en Calabre a arrêté cinq personnes soupçonnées d’avoir favorisé une ‘ndrine (famille mafieuse calabraise).
– Un sous-officier dans l’arme des carabiniers
– Un caporal de la Garde des finances
Les deux agents, en fonction à la Direction départementale antimafia, sont accusés de « concours externe en association mafieuse ». Ils n’appartiennent pas à la mafia mais en sont les complices
Un conseiller régional sous la bannière d’un parti du centre, l’UDEUR est accusé d’avoir échangé[1], contre des faveurs, des votes avec la ‘ndrine Gentile qui sévit dans la ville Amantea (petite ville de la côte tyrrhénienne dans la province de Cosenza). Les enquêteurs ont découvert que le conseiller régional avait dissimulé la propriété d’un navire à moteur afin d’éviter la saisie de ce bien par la police. Ce bateau était de surcroît utilisé par le chef mafieux pour ses déplacements dans les îles éoliennes.Dans le cadre de cette arrestation, la police a mis sous séquestre le port d’Amantea, des actions en bourse d’une société d’économie mixte qui opère dans le secteur de la récolte des déchets.
[1]L’échange électorale politico-mafieux est un délit en droit italien.
Un réseau politico-mafieux démantelé en Italie
De San Luca à Duisburg, la faida et la ‘Ndrangheta
La faida de San Luca
La faida ne concerne pas que les familles mafieuses. Cependant, à San Luca, celle-ci se double d’un affrontement entre familles mafieuses. D’un côté, la ‘ndrina2 des Pelle-Romeo-Vottari, de l’autre celle des Nirta-Strangio. La famille Strangio est divisée en trois branches. L’une est alliée au clan Nirta-Strangio ; la deuxième est proche des familles Pelle-Romeo-Vottari ; la troisième branche est totalement hors de la mafia. Les deux camps disposent de chacun d’une centaine d’hommes, de nombreuses parentés, ainsi que de différents complices. Environ 140 personnes sont en mesure faire usage d’armes à feu.
En 1991, au cours du carnaval de la Saint Valentin, un banal jet d’œuf tourne au sgarro, le fameux « affront ». En représaille, la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari assassine Francesco Strangio et Domenico Nirta. Un arrangement honorable pour tous est trouvé. Antonio Vottari a tué parce qu’il avait été provoqué et sa vie sera sauve à condition de quitter San Luca à jamais. Antonio Vottari pensait s’affranchir de cette interdiction de territoire. Il est assassiné le 25 juillet 1992. Un membre de chaque famille de la ‘ndrina Nirta-Stangio pu lui mettre une balle dans la tête : douze d’après l’autopsie.
Depuis 1991, la faida de San Luca a fait vingt morts3. Le jour de Noël 2006, un commando des Pelle-Romeo-Vottari tente d’assassiner Giovanni Luca Nirta, le chef de la ‘ndrina Nirta-Strangio. Maria Strangio 33 ans, l’épouse du chef décède. Ce dernier, son frère et son fils de cinq ans, sont tous blessés par balle. D’après les enquêteurs, en représailles du meurtre de sa femme, le « boss » Giovanni Luca Nirta a commandité le meurtre de six personnes :
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Marco Marmo, affilié à la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari, résident en Calabre est soupçonné d’être un des tueurs de Maria Strangio. Le 11 août, la police avait prévenu Marco Marmo que sa vie était en danger et qu’il ne devait pas quitter son domicile en Calabre. Il préféra partir en Allemagne afin de s’armer.
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Sebastiano Strangio, le cuisinier de la pizzeria Da Bruno était une affilié de la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari. Le restaurant a été utlisé pour une opération de blanchiment. Il est aussi une base logistique pour les armes de la ‘ndrina. Le 17 août 2007, les enquêteurs y ont retrouvé un fusil d’assaut M16 acheté récemment à un trafiquant serbe.
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Francesco Giorgi, âgé de 16 ans, est une victime « transversale ». Il s’agit du terme officiel pour définir les parents de mafieux qui sont assassinés par les rivaux.Un de ses parents éloignés, Antonio Giorgi était lié aux Pelle-Romeo-Vottari et a été assassiné le 3 août 2007. Il fallait déjà y voir unavertissement du camps adverse
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Tommaso Venturi, âgé 18 ans avait dans poche une image pieuse brûlée. Cela signifie qu’il venait d’être affilié à la ‘ndrine selon la cérémonie consacrée.
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Francesco et Marco Pergola, n’avaient pas de casier judiciaire mais travaillaient au restaurant Da Bruno. Les deux frères Pergola résidaient depuis quatre ans en Allemagne. Leur père est un policier calabrais en retraite. En raison de cette filiation « infâme », il est peu probable qu’ils aient été des ‘ndranghetistes. Les enquêteurs ne savent pas encore s’ils sont impliqués dans des affaires criminelles.
Certains de ces hommes sont peut-être morts parce qu’ils travaillaient au restaurant Da Bruno. Ces emplois sont parfois une « faveur mafieuse ». La faida conduit à tuer ceux sont qui sont en rapport avec les ennemis. Les exécutions sont davantage une vendetta dans la faida de San Luca plutôt qu’un règlement de compte mafieux stricto sensu. En revanche, tout a été soigneusement étudié pour que les rivaux de la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari comprennent le message.
La date du 15 août, celle de la fête de la Vierge Marie, n’a pas été choisie au hasard. Il s’agit d’une réponse à l’assassinat de Maria Strangio le jour de Noël 2006. Le lieu, hors de la Calabre, signifie : « où que vous soyez, vous n’êtes pas en sécurité si vous attentez à notre famille ». Le nombre de victimes doit amener l’autre clan à capituler. Les victimes « transversales » prouvent que toutes les personnes originaires de San Luca sont concernées. A ce titre, il a fallu que quelqu’un renseigne les tueurs. Dans une faida, il y a toujours un traître. Les meurtres à l’extérieur de la Calabre ne sont pas une nouveauté. En revanche, les tueries de cette ampleur sont, quoi que l’on puisse croire, très rares dans le monde mafieux5. Le « massacre de l’Assomption » entre peut-être dans l’histoire du crime comme est déjà présent celui de la Saint Valentin6. Cette faida nous renseigne donc sur la ‘Ndrangheta.
De la faida à la ‘Ndrangheta
La mafia calabraise est composée de familles biologiques. Le mariage permet d’agrandir la famille. Les enfants nés du mariage établissent le lien de sang indispensable. Les ‘ndrines ont donc une cohésion plus forte que les autres mafias italiennes et sont relativement protégées du phénomène des repentis. Il est bien plus difficile de trahir une personne de sa famille. La ‘Ndrangheta est aussi un cas d’école de mafia transnationale. Une forte communauté calabraise est présente en Europe du Nord, en Australie et au Canada. Le SISDE, le service de renseignement civil italien, affirme que les ‘ndrines à l’étranger sont pleinement autonomes par rapport à leur maison mère de Calabre. Cela constitue un avantage mais aussi un inconvénient. Cela peut entraîner des conflits entre ‘ndrines présentes sur un même territoire, comme celui de Duisbourg. L’Allemagne est une « succursale » importante de la ‘Ndrangheta. Les Italiens y constituent la deuxième communauté étrangère derrière les Turcs avec 540 000 ressortissants, dont 3 500 à Duisbourg. Des milliers de mafieux et leurs complices assurent l’approvisionnement en cocaïne de toute l’Europe. La mafia calabraise a des contacts directs avec les cartels colombiens. Ils blanchissent d’énormes capitaux. Les services de renseignement allemand (BND) ont découvert que des mafieux calabrais investissaient dans des sociétés cotées en bourse à Francfort.
D’après la Direction des enquêtes antimafias italienne (DIA), la ‘Ndrangheta serait composée de 155 ‘ndrines et de 7 000 affiliés qui générerait 3,4 % du PIB italien. Le trafic de drogue rapporterait à lui seul 22 milliards d’euros par an. En 2003, la Commission parlementaire antimafia italienne affirmait que la ‘Ndrangheta était la première mafia d’Italie. Ce fut une surprise pour le grand public. Qui pouvait penser que Cosa nostra sicilienne serait détrônée au hit parade du crime organisé ?
En réalité, la ‘Ndrangheta constitue un équilibre entre la loyauté, le contrôle du territoire et la transnationalité. De toutes les mafias italiennes, elle est la mieux armée pour faire face à la mondialisation.
Le règlement de compte de l’Assomption a eu lieu au sein de la diaspora puisqu’il s’est produit devant le restaurant italien. Cependant, l’Allemagne n’est pas la Calabre : l’omerta – la loi du silence – n’y fonctionne pas. Deux personnes ont apporté leur témoignage et l’enquête progresse à grands pas. Les policiers ont déjà mis un nom sur le portrait robot établi et sur les membres du commando.
La famille Strangio-Nirta risque effectivement de le payer très cher. Nous ne sommes plus au temps de la Guerre froide où les mafias étaient des alliés objectifs du Monde libre dans la lutte contre le communisme
En quelques mois, les enquêteurs italiens ont trouvé les soldats de la ‘Ndrangheta qui avaient tué le Vice-président de la région Calabre en 20058. Ils ont arrêté le chef mafieux et le donneur d’ordre. Seul un doute subsiste sur une complicité à un niveau supérieur. En effet, la fin de l’impunité ne signifie pas la fin des mafias italiennes, en particulier celle de la ‘Ndrangheta.
1 San Luca est une petite ville de 4 800 habitants de l’Aspromonte. Elle fait office de capitale de la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta. Il y a encore dix ans, tous les chefs de ‘ndrina, s’y réunissaient le jour de la fête de la Madone des Montagnes. Cette pratique a été suspendue en raison des succès remportés par les forces de l’ordre.
2 Il faudrait appeler ‘ndrina – ou ‘ndrine au pluriel en italien- la cellule de base de la ‘Ndrangheta et garder le terme de clan pour la Camorra napolitaine.
3 Après une accalmie, la faida reprit en 2006 et a fait 11 morts en huit mois.
4 Le jeune Francesco était aussi un parent de Domenico Giorgi. Ce dernier, né en 1963, émigra en Allemagne dans les années quatre-vingt. A Duisburg, il fut équarrisseur puis serveur dans une boite de nuit. En 1989, il est employé par Michele Mammoliti, le propriétaire du restaurant Da Bruno de l’époque. Au moisd’août 1989, Domenico Giorgi gagnait, 1 200 marks par mois, mais il acheta le restaurant 250 000 euros comptant à son employeur ! En 1997, il le revendit aux frères Strangio, Giovanni et Sebastiano. Le cuisinier assassiné le 15 août dernier a donc servi de prête-nom dans une affaire de blanchiment pour le compte des Pelle-Romeo-Vottari (cf. Rapport des carabiniers sur le restaurant Da Bruno, 2001).
5 Les familles mafieuses font généralement exécuter une seule personne à la fois et le corps disparait afin de ne pas attirer l’attention.
6 Le 14 février 1929, Al Capone envoie des faux policiers tuer de sang froid sept hommes de main de Georges Bugs Moran, chef d’une bande rivale d’origine irlandaise.
7 Les mafias italiennes ne bénéficient plus de l’impunité depuis le 31 janvier 1992, date à laquelle la Cour de Cassation a confirmé pour la première fois la culpabilité de plus de trois cents mafieux.
8 Cf. Note d’actualité N°19, novembre 2005, www.cf2r.org
L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux
Le dimanche 16 octobre 2005, à 17 h 22, un véhicule s’arrête devant un bâtiment public à Locri, en Calabre (sud de l’Italie). Un homme, à demi masqué, un pistolet à la main, parcourt quelques mètres avant de tirer cinq coups à bout portant sur Francesco Fortugno, 54 ans, vice-président de la région de Calabre. Puis, le tueur retourne sans précipitation vers la voiture, conduite par un complice.
Tous les éléments, de la méthode à la cible, en passant par le contexte, font de cet homicide un crime de type mafieux et un acte de violence programmee. En effet, face à un tel professionnalisme, un règlement de compte d’ordre privé est impossible. Par ailleurs, au cours de cette exécution, rien n’a été laissé au hasard. Le lieu, la date, la cible et a fortiori le mobile sont autant de messages de la part de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, en direction du pouvoir politique.
Le lieu et la date
La région de la Locride, dans le sud de la Calabre, est une des zones les plus mafieuses d’Italie. Au cours de ces 13 derniers mois, 22 homicides y ont été commis dont 20 n’ont toujours pas été élucidés. A Locri, le contrôle du territoire est exercé par les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises), expertes dans la gestion des rapports de pouvoir et de politique. Un tel meurtre nécessite donc une « autorisation » de leur part.
L’endroit précis du meurtre constitue un premier message : il s’agit du Palais Nieddu, un très beau bâtiment situé en plein centre ville, où se tiennent de nombreux séminaires. Si les tueurs avaient recherché la discrétion, ils auraient accompli leur forfait sur le trajet de la cible, c’est-à-dire sur la route qui relie le domicile de Brancaleone à Locri, entre la montagne et la mer Ionienne.
En outre, les tueurs ont opéré un dimanche, en plein jour, à un moment où ils ne pouvaient pas profiter des habitudes professionnelles de la cible. Ce jour-là, la victime est restée une heure à discuter avec des amis après avoir voté. Il est donc fort probable qu’elle ait été suivie toute la journée et qu’une personne présente à l’intérieur du bâtiment ait donné le signal. Enfin, la date est capitale puisqu’il s’agissait des primaires au sein de la coalition de gauche nommée « l’Unione », en vue des élections législatives du printemps 2006. En ce dimanche d’élection, en plein centre ville et devant témoins, cet acte criminel est avant tout la démonstration que cette association criminelle peut frapper n’importe où, n’importe quand et surtout n’importe qui ; en particulier un homme politique.
La cible et le mobile
Fortugno qui a un lien de parenté avec la famille Laganà – une dynastie de démocrates-chrétiens députée en Calabre – est à l’origine médecin chef des hôpitaux. Secrétaire d’un syndicat de médecins (CISL), il est devenu référent pour les questions de santé du parti de gauche, la « Marguerite », dans sa région, la Calabre. Au printemps 2005, il a été élu au sein de l’assemblée régionale, puis au dernier moment de la précédente législature, il a remplacé au poste de vice-président un collègue élu député.
Dans un premier temps, le procureur s’est intéressé aux activités que Fortugno exerçait au sein de l’hôpital de Locri, où sont encore employés sa femme et son frère. En 2004, des fournisseurs et des responsables hospitaliers ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur une escroquerie concernant les fournitures. Un climat de violence s’était alors installé (agressions, etc.).
Dans un second temps, les enquêteurs suivent la piste de l’engagement politique de Fortugno vis-à-vis du monde de la santé. A la mi-octobre, le président de la Calabre avait été menacé pour avoir annoncé, parmi d’autres réformes, le renouvellement des dirigeants d’entreprises publiques de santé. Cette décision aurait entraîné la modification du déroulement et de l’attribution des adjudications publiques. Celles-ci sont en effet régies par des amitiés et des liens nés de nombreuses années d’ententes économico-politiques.
Aussitôt élu, Francesco Fortugno a été donc associé à la nomination des dirigeants des entreprises de santé, en majorité sous tutelle de la région. A l’occasion de cet événement, des sources proches de l’exécutif régional confient qu’il y eut de « fortes pressions ». Les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises) ont fait pression pour que les décisions ne soient pas prises avant le printemps prochain et ont fait savoir que lors des élections régionales de 2006, elles voteraient massivement pour la droite.