L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux
Le dimanche 16 octobre 2005, à 17 h 22, un véhicule s’arrête devant un bâtiment public à Locri, en Calabre (sud de l’Italie). Un homme, à demi masqué, un pistolet à la main, parcourt quelques mètres avant de tirer cinq coups à bout portant sur Francesco Fortugno, 54 ans, vice-président de la région de Calabre. Puis, le tueur retourne sans précipitation vers la voiture, conduite par un complice.
Tous les éléments, de la méthode à la cible, en passant par le contexte, font de cet homicide un crime de type mafieux et un acte de violence programmee. En effet, face à un tel professionnalisme, un règlement de compte d’ordre privé est impossible. Par ailleurs, au cours de cette exécution, rien n’a été laissé au hasard. Le lieu, la date, la cible et a fortiori le mobile sont autant de messages de la part de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, en direction du pouvoir politique.
Le lieu et la date
La région de la Locride, dans le sud de la Calabre, est une des zones les plus mafieuses d’Italie. Au cours de ces 13 derniers mois, 22 homicides y ont été commis dont 20 n’ont toujours pas été élucidés. A Locri, le contrôle du territoire est exercé par les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises), expertes dans la gestion des rapports de pouvoir et de politique. Un tel meurtre nécessite donc une « autorisation » de leur part.
L’endroit précis du meurtre constitue un premier message : il s’agit du Palais Nieddu, un très beau bâtiment situé en plein centre ville, où se tiennent de nombreux séminaires. Si les tueurs avaient recherché la discrétion, ils auraient accompli leur forfait sur le trajet de la cible, c’est-à-dire sur la route qui relie le domicile de Brancaleone à Locri, entre la montagne et la mer Ionienne.
En outre, les tueurs ont opéré un dimanche, en plein jour, à un moment où ils ne pouvaient pas profiter des habitudes professionnelles de la cible. Ce jour-là, la victime est restée une heure à discuter avec des amis après avoir voté. Il est donc fort probable qu’elle ait été suivie toute la journée et qu’une personne présente à l’intérieur du bâtiment ait donné le signal. Enfin, la date est capitale puisqu’il s’agissait des primaires au sein de la coalition de gauche nommée « l’Unione », en vue des élections législatives du printemps 2006. En ce dimanche d’élection, en plein centre ville et devant témoins, cet acte criminel est avant tout la démonstration que cette association criminelle peut frapper n’importe où, n’importe quand et surtout n’importe qui ; en particulier un homme politique.
La cible et le mobile
Fortugno qui a un lien de parenté avec la famille Laganà – une dynastie de démocrates-chrétiens députée en Calabre – est à l’origine médecin chef des hôpitaux. Secrétaire d’un syndicat de médecins (CISL), il est devenu référent pour les questions de santé du parti de gauche, la « Marguerite », dans sa région, la Calabre. Au printemps 2005, il a été élu au sein de l’assemblée régionale, puis au dernier moment de la précédente législature, il a remplacé au poste de vice-président un collègue élu député.
Dans un premier temps, le procureur s’est intéressé aux activités que Fortugno exerçait au sein de l’hôpital de Locri, où sont encore employés sa femme et son frère. En 2004, des fournisseurs et des responsables hospitaliers ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur une escroquerie concernant les fournitures. Un climat de violence s’était alors installé (agressions, etc.).
Dans un second temps, les enquêteurs suivent la piste de l’engagement politique de Fortugno vis-à-vis du monde de la santé. A la mi-octobre, le président de la Calabre avait été menacé pour avoir annoncé, parmi d’autres réformes, le renouvellement des dirigeants d’entreprises publiques de santé. Cette décision aurait entraîné la modification du déroulement et de l’attribution des adjudications publiques. Celles-ci sont en effet régies par des amitiés et des liens nés de nombreuses années d’ententes économico-politiques.
Aussitôt élu, Francesco Fortugno a été donc associé à la nomination des dirigeants des entreprises de santé, en majorité sous tutelle de la région. A l’occasion de cet événement, des sources proches de l’exécutif régional confient qu’il y eut de « fortes pressions ». Les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises) ont fait pression pour que les décisions ne soient pas prises avant le printemps prochain et ont fait savoir que lors des élections régionales de 2006, elles voteraient massivement pour la droite.
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