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Guet-apens contre un capo-bastone en Aspromonte

Le 23 juillet 2008, à 9h30 dans la commune de Santo Stefano dans les montagnes de l’Aspromonte en Calabre, Rocco Musolino et Agostino Priolo se déplacent dans leur véhicule. Là, deux hommes embusqués tirent plusieurs coups de fusil de chasse. Une des armes s’enraye et les sicaires abandonnent leurs armes sur place (photo en haut). Les vctimes sont blessées légèrement, le conducteur ayant eut la présence d’esprit d’accélérer et de se rendre à l’hôpital (pas le plus proche…).

Les carabiniers ne privilégient aucune piste pour l’instant mais ce guet-apens pourrait être d’essence mafieuse. En effet, Rocco Musolino, 81 ans, appartient à une ‘ndrine, une famille mafieuse calabraise, en l’occurence la ‘ndrine Serraino ( De la mafia calabraise, de la mémoire et des femmes). Il serait même un chef de famille : un capo-bastone. Dans les années quatre-vingt dix, Rocco Musolino a été arrêté dans le cadre des procès Olimpia. Les procès Olimpia 1, 2 et 3 sont les plus importants procès concernant la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise. La justice italienne soupçonnait Rocco Musolino d’être l’un des commanditaires de l’assassinat de Giorgio De stefano, survenu en 1977. Giorgio De Stefano était un chef de famille mafieuse de Reggio. En première instance, Rocco Musolino fut condamné à la prison à vie. Innocenté en appel, il a été reconnu coupable d’extortion de fonds à l’issue d’une autre procèdure diligentée à son encontre.
Le mobile de ce guet-apens, même mafieux, demeure inconnu. D’après les premiers éléments de l’enquête, il ne peut s’agir d’une erreur puisque les tireurs ont identifié la voiture et vu leurs cibles. Il ne s’agirait pas d’un avertissement. Les enquêteurs ont retrouvé trois lettres de menace au domicile de Rocco Musolino. L’emploi d’un fusil de chasse fait pencher mon interprétation vers un conflit de générations. De jeunes « boss » veulent prendre le pouvoir. Rocco Musolino ne veut rien lâcher de ses prérogatives et de son trésor caché. Les prétendants décident de le tuer tout en respectant la stature de leur proie. L’utilisation d’un fusil de chasse à canons sciés, une arme traditionnelle dans la mafia, devait rendre un dernier hommage au « roi de l’Aspromonte ».

Un boss de La Cosa Nostra se livre au FBI

Le 30 mai 2008, Nicholas Carozzo, 68 ans, un membre de la mafia italo-américaine, La Cosa Nostra (LCN), s’est livré au bureau du FBI de New-York. Depuis 1992, « Little Nick » est un « captain » de la famille Gambino de New-York. Il gérait les paris clandestins portant sur le football
(américain) et le base-ball. Aux Etats-Unis, les revenus des paris s’élèveraient à 10 millions de dollars par an. Dans le quartier du Queens, le système Carozzo était géré par 4 sites internet. Un des sites domiciliés au Costa Rica permettait de financer d’autres activités illicites1.
Ces dernières années, Nick Carozzo avait augmenté fortement son influence au sein de la famille Gambino. En effet, au sein de La Cosa Nostra, la capacité d’un de ses membres à rapporter de l’argent à la famille constitue un des facteurs principaux de promotion.

Récemment, ce « capitaine » de la famille Gambino s’est retrouvé impliqué dans l’enquête « Old bridge » qui a permis l’arrestation de 60 mafieux des deux côtés de l’Atlantique. Avant l’arrestation des ses compagnons, Nick avait été prévenu de l’opération policière. Il avait alors préféré quitter son domicile de Long Island . Reste que la « cavale » aux Etats-Unis est devenue bien difficile à assurer. Pour les mafieux italo-américains, il n’est plus possible de se réfugier en Italie où les policiers sont devenus des experts en la matière, en grande partie en raison de la coopération internationale qui s’est considérablement développé. Par le biais de son avocat, Nick a négocié (contre quoi ?) sa reddition. Il est accusé d’association de malfaiteur, d’extorsions et d’homicides, mais il se dit innocent des faits qui lui sont reprochés.

Enfin, le 5 juin, le procureur de Brooklyn a fait arrêter une douzaine « d’affranchis » de la famille Colombo de New York, une des plus importantes familles de La Cosa Nostra. Après 3 ans d’enquête, la justice estime que Thomas Gioeli, 55 ans et son « underboss » John ‘ »Sonny »‘ Franzese, 89 ans, assuraient par interim le leadership de cette famille. Le chef de cette famille serait encore Carmine Persico emprisonné en Caroline du Nord.  Ils sont accusés d’extortion, de trafic de drogues et de vol. Il est à noter que le vol organisé est une spécialité de La Cosa Nostra américaine à contrario des mafias italiennes. Enfin, les mafieux italo-américains nient souvent leur implication dans le trafic de drogue.

1. Voir l’émission « enquête exclusive » sur M6 replay

De la Camorra et des cols blancs

Le 27 février 2008, les carabiniers ont arrêté Ciro Fierro, 24 ans mais déjà un camorriste de haut rang. Il appartient au clan des « sécessionnistes » de la Camorra napolitaine (cf.Les clans de la Camorra en recomposition). Depuis 2005, ce clan se livre à une guerre contre le clan Di Lauro dans le quartier populaire de Secondigliano. Il a été arrêté dans les région des Marche dans le centre de I’Italie sur la carte à gauche. Cependant, Il est difficile de croire que Fiero se mettait au vert. Il se livrait à une opération d’infiltration dans la ville de Civitanova dans la région des Marche. Il était en possession de deux kilos de cocaïne, de 59 000 euros en liquide et de deux pistolets (un calibre 9×21 et un 38 ) dont les deux numéros avaient été limés.

Le 6 mars 2008, les carabiniers du Ros, spécialisés dans l’action contre le crime organisé, ont arrêté trois camorristes de haut rang de la ville de Nola. Parmi eux figurent, Domenico Russo, Giovanni Pandico et Salvatore Russo, le fils du boss déjà emprisonné.

Les carabiniers ont aussi procédé à la saisie de biens pour une valeur estimée à 300 millions d’euros. Certains des biens sont des supermarchés de la marque Deco, des agences immobilières, des terrains, des appartements et des voitures de luxe. Les enquêtes ont mis à jour des comptes bancaires en Italie et en Suisse. Les enquêteurs ont découvert des violations des normes contre le blanchiment de la part des banques de connivence.
En effet, sans la complicité des « cols blancs », la mafia n’existerait pas.


Ps : le calibre 9mmX21 IMI (98 FS) est un calibre « civil » spécifiquement utilisé dans des armes de poing italiennes (Beretta). Cette munition a été développée car les tireurs sportifs italiens n’ont pas accès aux munitions « de guerre » comme le 9mmX19 (9 mm parabellum) qui équipe l’OTAN (ce n’est pas le cas en France ou tout membre de la FFTir remplissant les conditions nécessaires peut acquérir des armes militaires, dans la mesure où elles ne peuvent tirer en rafale) . Les capacités techniques de cette munition sont identiques à celles du 9 mm parabellum, mais ne peuvent être chambrées dans une arme militaire. Tout cela est dû à la « curiosité » de la législation sur les armes en Italie. C’est pour cette raison que l’on ne trouve le 9X21 imi qu’en Italie. Il n’est donc pas surprenant de retrouver cette munitions dans les mains de mafieux (elle a sans doute été dérobée), Rodier (Alain), cf2r.

Cosa nostra sicilienne : la succession du  » capo dei capi « 

carte cosa nostra mafiaAlain Rodier et Fabrice Rizzoli

En Sicile, la réalité dépasse la fiction. La mafia locale, Cosa nostra, dispute la suprématie de l’île au pouvoir italien. Quoiqu’en disent certains, le monde politico-économique local est largement gangrené par la mafia. La justice et les forces de sécurité font ce qu’elles peuvent, mais elles sont surclassées par la puissance financière que représente Cosa nostra. Cette richesse lui permet de corrompre de nombreux fonctionnaires et certains hommes politiques. Ce qui lui permet d’agir en impunité et d’accumuler encore plus de capitaux.

Le 11 avril 2006, Bernardo Provenzano, le chef de la mafia sicilienne, est arrêté à proximité de son village natal, Corleone, à 80 km au Sud de Palerme. Il était en fuite depuis 1963 et avait pris la tête de la Coupole, l’organe dirigeant de Cosa nostra après l’arrestation de son prédécesseur Salvatore « Toto » Riina. Riina a été condamné à la prison à vie pour sa responsabilité dans quelques 300 homicides. Provenzano ne sera jugé que pour 127 meurtres ! Il a d’ailleurs été condamné par contumace à dix fois la perpétuité. Et pourtant, il est considéré comme celui qui a choisi la « stratégie de l’immersion », c’est-à-dire d’une plus grande discrétion des activités mafieuses, en particulier, la fin des attaques dirigées contre les représentants de l’Etat. Provenzano avait prôné une « Pax mafiosa », demandant aux différentes familles de ne pas se livrer à des violences visibles. Il était aussi l’artisan d’une récolte plus souple de l’impôt mafieux. Son credo était « qu’il payent moins mais qu’ils payent tous ». Pendant toutes ces années de cavale, Provenzano n’a quitté la Sicile que très rarement, en particulier fin 2003, pour se faire soigner de la prostate dans une clinique de Marseille.

La direction « transitoire » de Cosa Nostra

Depuis son arrestation, le problème de sa succession à la tête de Cosa Nostra se pose. Selon le procureur national anti-mafia Piero Grasso, un triumvirat dirige actuellement l’organisation sicilienne : Matteo Messina Denaro, Salvatore Lo Piccolo et Dommenico Racuglia.

Matteo Messina Denaro est né le 26 avril 1962, à Castelvetrano, dans l’Ouest de la Sicile. Il contrôle la province de Trapani et entretient des liens étroits avec les cartels sud-américains. Il aurait ses entrées au Venezuela qui devient, avec le Mexique, un carrefour incontournable pour la coca colombienne. Il est associé depuis le début des années 1990 avec les familles Cuntrera et Caruana, originaires de Siculiana et établies aux Etats-Unis. Denaro a été condamné à la prison à vie pour des attentats à la bombe survenus en 1993 à Rome, à Florence et à Milan, ayant fait 10 morts. Le but de cette campagne terroriste menée par Salvatore Riina, était d’assouplir les conditions de détention des chefs de Cosa Nostra incarcérés. Depuis 1993, Denaro échappe aux forces de sécurité italiennes. Il entretenait les meilleurs rapports avec Toto Riina puis avec Provenzano et il rendait des comptes à ce dernier en lui adressant des pizzini1.

– Salvatore Lo Piccolo est né en 1943. Il contrôle la grande majorité des quartiers nord de Palerme, qui sont les plus peuplés et considérés comme des bastions historiques de la mafia. D’après la Direction des enquêtes antimafia (DIA), Lo Piccolo a étendu son influence à l’ouest de Palerme dans les villes de Carini, Cinisi et Terrasini2. Il disposerait, en outre, d’alliances solides dans les villes de Mistretta et de Tortorici comme dans une partie de Messine. Jugé comme l’homme qui a le plus d’expérience, il a toujours privilégié la diplomatie à la violence. Il a bâti sa fortune sur le trafic de cocaïne, l’extorsion de fonds et l’attribution de contrats de génie civil. Il vit dans la clandestinité depuis 1983.

Son fils Sandro, né en février 1975, aurait déjà au moins deux meurtres à son actif. A la différence de son père, bien qu’également en cavale, il serait très voyant, aimant le luxe, les femmes et la belle vie.

Les Lo Piccolo sont connus pour entretenir d’excellentes relations avec « la » Cosa Nostra, la mafia italo-américaine. Salvatore Lo Piccolo a organisé le retour en Sicile de la famille Inzerillo, qui vivait en exil aux Etats-Unis depuis la victoire des Corléonais en 1982. L’expansion des Lo Piccolo et le retour des perdants de la grande guerre des mafias a suscité de fortes tensions au sein de Cosa Nostra en Sicile. Antonino Cina, Antonino Rotolo et Franco Bonura – une triade de mafieux qui assistaient Provenzano – ont été appréhendés en juin 2006 lors d’une opération de police baptisée « Ghotta ». Ils projetaient de faire exécuter les Lo Piccolo. Ces trois proches de Provenzano étaient déjà rivaux des Lo Piccolo avant même l’arrestation de ce dernier.

Domenico Raccuglia, né le 27 octobre 1964, est le chef du mandamento de Corleone. Ce canton mafieux regroupe les communes de Corleone, Altofonte, San Giuseppe Jato et Partinico dans l’arrière pays de Palerme. Il est en fuite depuis 1996 et recherché pour meurtres, conspiration mafieuse, attaques à main armée et extorsion de fonds.

La reprise des affrontements internes

Pour le moment, la violence semble encore contenue. La « concurrence » ayant été éliminée par les forces de police qui ont incarcéré un nombre impressionnant de chefs de familles. Mais il n’est pas dit que l’avenir demeure aussi calme et certains prédisent des guerres de clans. Dans ce petit jeu, les Palermitains semblent actuellement les mieux placés parce que la mafia sicilienne, c’est Palerme ! La tentative d’assassinat de la triade proche de Provenzano envers les Lo Piccolo semble en être la démonstration.

Dès à présent, des indices laissent penser qu’une guerre interne a débuté. Ainsi, le 16 juin 2007, Nicolo Ingarao – le « régent » de la famille de Porta Nuova, un quartier de Palerme – a été assassiné par deux hommes à moto qui lui ont logé six balles dans le corps. Ingarao était un proche de la triade Bonura-Cina-Rotolo. Il semble que son assassinat ait été commandité par Salvatore Lo Piccolo. La personnalité, le rang de la victime et le fait qu’il s’agit du deuxième meurtre de type professionnel qui survient en trois jours à Palerme inquiètent les autorités.

Le rôle de la bourgeoisie mafieuse en Sicile

Il ne faut pas analyser Cosa Nostra uniquement sous son angle « militaire ». En effet, la Sicile est en proie à une
« bourgeoisie mafieuse ». Selon le sociologue Umberto Santino – considéré comme l’un des plus grands spécialistes de la mafia – le phénomène mafieux est un paradigme de la complexité socio-criminelle. « Le mot mafia définit les organisations criminelles qui agissent au sein d’un vaste réseau de relations. Ces organisations élaborent un système qui repose sur la violence et l’inégalité afin d’accumuler des capitaux et du pouvoir. Elles usent d’un code culturel et jouissent d’un relatif consensus social. Le système relationnel mafieux est composé de rapports de parenté, d’amitié, d’intérêt, de contiguïté et de complicité. Ce réseau s’affirme dans des conditions de développement comme de sous-développement économique. Ces relations composent un corps social hiérarchiquement organisé. Les catégories sociales les plus pauvres représentent le bassin de recrutement de la main-d’œuvre pour les mafias. Les sommets de l’organisation mafieuse sont capables de sceller un pactum sceleris avec les plus hautes sphères du pouvoir politique et économique, la haute société »3. Le tout forme un club privé que le sociologue palermitain qualifiede « bourgeoisie mafieuse ».

Par exemple, la ville de Corleone – qui fut popularisée par le film Le Parrain et qui dépend des compétences de Raccuglia – est actuellement aux mains des frères Lo Bue. La tante de ces derniers n’est autre que la compagne de Provenzano. Dans la plus pure des traditions mafieuses, les frères Lo Bue étaient les gardiens des terres de Giuseppe Provenzano4, le président de la région Sicile de 1996 à 2001. En 2001, à peine élu maire de Corleone, Ciccio Nicolosi, désignait l’avocat de Toto Riina  comme adjoint chargé de la culture et du tourisme.

A l’issue des élections du 28 mai 2006, Salvatore Cuffaro a conservé la présidence de la région Sicile avec 52,2% des suffrages exprimés. Cuffaro appartient à l’UDC, un parti du centre – issu de l‘ancien Démocratie chrétienne – qui fait partie de la coalition dirigée par Silvio Berlusconi. Son adversaire principal, Rita Borsellino5, obtient pour sa part 42,96% des voix. Or, Cuffaro était soupçonné par les autorités judiciaires d’entretenir des « connivences » avec Cosa nostra ! Il est d’ailleurs sous le coup de trois mises en examen, mais il semble que cela ne nuise pas à sa carrière politique. Il est de notoriété publique que de nombreux candidats sont élus avec les voix de la mafia sicilienne.

Cosa nostra est riche et prospère. Même si le projet pharaonique d’un pont reliant la Sicile à la péninsule italienne a été abandonné par l’administration Prodi, d’autres chantiers immobiliers vont se développer dans l’avenir. Les nombreux incendies criminels qui ont eu lieu cet été sur l’île semblent d’ailleurs avoir été déclenchés avec trop de coordination pour n’être que le fait d’incendiaires amateurs. Beaucoup y voient la main de Cosa Nostra qui a ainsi travaillé au profit de promoteurs immobiliers rencontrant des problèmes d’expropriation avec quelques petits propriétaires terriens. Par ailleurs, on assiste à une recrudescence des actes d’intimidation envers les commerçants siciliens. La « diplomatie » Provenzano est bien caduque. Il est donc logique de penser que la situation va perdurer, même si certains chefs d’entreprises se révoltent contre le pizzo (racket) à grands renforts de publicité.


1 Petits morceaux de papier roulés en boule contenant des messages chiffrés qu’utilisait Provenzano pour communiquer avec son organisation.

2 Rapport DIA, deuxième semestre 2006.

3 Santino (Umberto) : La mafia interprétée, Dilemmes, stéréotypes, paradigmes, Rubbettino, Soveria Manelli 1995, pp 145 ss.

4 Aucun lien de parenté avec Bernardo Provenzano.

5 La sœur du juge antimafia Paolo Borsellino assassiné par Cosa nostra, le 19 juillet 1992.

Cosa nostra s’engage-t-elle, à nouveau, sur la voie du terrorisme ?

carte mafia sicileAprès avoir opté pour une stratégie terroriste de 1992 à 1993 sur l’ensemble du territoire italien1, Cosa nostra a subi d’importants effets « boomerang », comme celui de la réaction des autorités2 et celle du phénomène des repentis (cf. 12 janvier 2002, un étudiant et un colloque sur les attentats de 1992-1993). Depuis lors, la mafia sicilienne a opté pour une autre stratégie, celle de « l’invisibilité » sous le commandement symbolique de Bernardo Provenzano « en cavale » depuis 40 ans3. Cependant, des événements récents pourraient conduire à la fin de cette pax mafiosa.

Dans la soirée du 29 octobre 2005, les forces de l’ordre 4 ont arrêté deux membres de la mafia de Gela dans le Sud de la Sicile, parce qu’ils préparaient un attentat contre le juge Ottavio Sferlazza. D’après les enquêteurs, le plan était dans sa phase conclusive puisqu’il était question d’utiliser une grosse quantité d’explosif sur la route Caltanissetta-Gela, empruntée quotidiennement par le magistrat.

Le premier élément d’analyse réside dans l’importance de la cible. Sferlazza était jusqu’il y a peu président de cour d’assise dans de nombreux procès concernant précisément l’assassinat de juges5 . Le plus célèbre demeure celui du massacre de Capaci6 contre le juge Falcone en 1992. Ottavio Sferlazza, est réputé pour sa grande sévérité, car il a condamné de nombreux chefs mafieux, en particulier ceux de Gela. Or, les deux mafieux arrêtés, Salvatore Azzerello (29 ans) et Paolo Palmeri (38 ans7 ), appartiennent au clan Rinzivillo de Gela, ce dernier étant même considéré comme le « gérant » de cette famille mafieuse.

Le magistrat a été placé sous haute protection et des perquisitions sont en cours afin de découvrir quels autres membres de l’organisation ont projeté l’attentat. En outre, l’affaire est suivie de près par la Direction nationale antimafia (DNA)8 , car un élément est particulièrement inquiétant. En effet, le plan a été révélé par un commerçant non connu des services de police qui, après avoir été ruiné par le racket, a été recruté pour préparer l’attentat. Utiliser des personnes extérieures à l’organisation pour commettre un délit mafieux aussi important est une démarche rare et peu sûre. Ces événements en sont la preuve. Ce mode opératoire tend à démontrer qu’il s’agissait d’un acte de vengeance local qui n’avait l’aval de la hiérarchie. Or, la famille Rinzivillo est sous le contrôle du « boss » Piddu Madonia, fidèle allié du chef de Cosa nostra, Bernardo Provenzano, celui la même qui a opté pour une organisation « souterraine ».

Par conséquent, si le clan Rinzivillo a opéré avec « l’autorisation », nous sommes en présence d’un changement de stratégie historique. En revanche, si le clan a agi de sa propre initiative, il a pris le risque de provoquer des tensions au sein même de l’organisation. Les mafias sont caractérisées par la notion de contrôle de territoire. Puisque l’attentat devait avoir lieu entre Caltanissetta et Gela, dans le centre de la Sicile, une région discrète mais à forte densité mafieuse, il fallait l’assentiment des familles sous peine de déclencher une guerre de mafia.

Par ailleurs, cette tentative d’attentat arrive après le meurtre de Maurizio Lo Iacono9 à Particino, à 30 km de Palerme, le 4 octobre 2005. Maurizio Lo Iocono, chef mafieux émergent de 34 ans, récemment sorti de prison, profitait de la crise de la famille de Vito Vitale10 pour étendre son influence. Les enquêteurs pensent logiquement que le clan Vitale a fait tuer l’entreprenant Lo Iacono. Cependant, la victime était un proche de Bernardo Provenzano, ce qui peut faire penser, non pas à un simple règlement de compte, mais à une rupture de l’équilibre qui anime la pax mafiosa des dix dernières années.

Enfin, le 16 octobre 2005, le vice-président de la région Calabre a été assassiné par des hommes de la ‘Ndrangheta, l’organisation criminelle de type mafieux calabraise (cf. L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux). Si les deux évènements de Sicile et de Calabre n’ont pas de rapport direct entre eux, ils sont à intégrer dans une réflexion plus large sur le contexte politico-mafieux italien à l’approche des élections législatives d’avril 2006.

Ainsi, en dépit des nombreux succès des forces de l’ordre11 , il semble une fois encore que la partie contre la mafia se joue à Rome.


  • 1Cf. Fabrice Rizzoli, « L’Etat italien face au terrorisme mafieux », Actes du colloque « Etat et terrorisme », Démocraties, 12 janvier 2002, publiés aux éditions Lavauzelle, collection Renseignement et guerre secrète, p. 45.
  • 2Arrestations des principaux chefs corleonais : Salvatore (Toto) Tiina, Leoluca Bagarella, etc.
  • 3Mais qui s’est fait opérer en France l’année dernière.
  • 4Le mandat été émis par le procureur Francesco Messineo, le substitut Roberto Di Natale, les magistrats près la Direction provinciale antimafia Nicolo Marino et Antonino Patti. Les arrestations ont été effectuées par la police de Caltanissetta et de Gela.
  • 5Chinnici, Antonino Saetta et le capitaine de carabiniers Emmanuelle Basile.
  • 6Le 23 mai 1992, entre Palerme et l’aéroport de Punta Raisi, à la hauteur de la ville de Capaci, 550 kilos d’un mélange de TNT et de nitroglycérine caché sous une conduite d’eau souterraine explosait sous la chaussée de l’autoroute !
  • 7Propriétaire d’une entreprise de transport, a déjà été condamné pour extorsion, trafic de cocaïne, d’héroïne et de marijuana.
  • 8La DNA a un nouveau procureur Pietro Grasso et c’est la polémique car le gouvernement Berlusconi a tout fait pour empêcher la nomination d’un autre procureur bien plus expérimenté en la matière : Gian Carlo Caselli, ex-procureur de Palerme.
  • 9Fils de Francesco Lo Iacono, vieux mafieux de premier ordre du capomandamento (canton au sens mafieux) de Particino.
  • 10Vito Vitale est depuis longtemps en prison avec ses frères et ses soeurs dont une (Giusy) est devenue collaboratrice de justice.
  • 11Arrestation de deux chefs, un de Cosa nostra (Umberto di Fazio du clan Santapaola de Catane) et un de la ‘Ndrangheta (Sebastiano Strangio arrêté au Pays-Bas) au mois d’octobre.
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