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12 janvier 2002, un étudiant et un colloque sur les attentats de 1992-1993
La presse française s’enflamme (cf. Richard Heuze, le Figaro du 19/10/2009 : « Quand la mafia tentait de négocier avec Andreotti« ). Elle découvre que la mafia sicilienne a posé des bombes en 1992-1993 (cf. Bon anniversaire Giovanni) et dialoguer avec des politiciens pour obtenir leur faveur…. (cf. Leçon de communication mafieuse par Toto Riina). Ensuite, l’article ne dit pas que la Cour de cassation, dans sa décision du 15 octobre 2004 a condamné Giulio Andreotti pour le délit d’association mafieuse mais les faits (antérieurs à 1980) sont prescrits.
Le 12 janvier 2002, déjà, au cours d’un colloque organisé au Sénat par l’association Démocraties, un « jeune » doctorant expliquait que la première République italienne mourante subissait des attaques mafieuses afin de faire pression sur l’Etat et sa nouvelle classe politique (cf. La Sicilienne rebelle).
Les services de renseignement italien et les mafias
Dans la nuit du 7 décembre 1970, l’italie devait devenir une dictature comme en Grêce, l’Espagne et le Portugal. Le coup d’Etat organisé par le prince Valerio Borghese échoue mais la République italienne avec sa magistrature indépendante, fait vite la lumière sur cette évènement et ce, même si la participation des mafias sera médiatisée bien après. Retrouvez un extrait de la thèse de doctorat de science politique (cf.Mafias italiennes et relations internationales) qui développe le rôle des mafias italiennes dans ce coup d’Etat avorté :
» … Pour donner le départ du coup d’Etat Borghese, les 6 et 7 décembre 1970, une série d’attentats contre des églises, des supermarchés, des sièges de partis politiques et à la préfecture de police à Reggio ravivaient à nouveau un climat de guerre. Si le coup d’Etat réussissait, l’Italie aurait du se transformer en régime autoritaire. Pour cela les putschistes devaient s’emparer du Quirinale, le bâtiment présidentiel à Rome, de la Rai ainsi que de nombreuses casernes dans tout le pays. Des témoignages sérieux et concordants devant la Commission parlementaire contre le terrorisme font état de la présence des militaires haut gradés prêts à prendre le contrôle de casernes dans toute l’Italie. D’autres témoignages démontrent la mobilisation des mafieux calabrais résidant à Milan et disposés à prendre les rênes de la ville même. A Reggio, les mafieux et les militants d’extrême droite avaient des uniformes de carabinier à distribuer.
A Rome, des tueurs de Cosa nostra [la mafia sicilienne] avaient débarqué par avion dans la nuit du 6 au 7 décembre 1970 afin de neutraliser le chef de la police, ce qui a été confirmé plus tard par des collaborateurs de justice. Ils ont été accueillis par Salvatore Drago, médecin de chambre du ministre de l’intérieur. Le 7 décembre au soir, le prince Borghese arriva avec des hommes armés au ministère de l’Intérieur. Cependant, ce serait lui-même qui aurait donné un coup de téléphone avant de donner le contrordre de mettre fin à l’opération au dernier moment.
Il est désormais acquis que le prince Borghese avait noué des contacts avec des agents de la CIA, en particulier un ancien officier nazi, ainsi qu’avec Lucio Gelli, le grand maître de la loge P2 [ loge maçonnique clandestine et subversive, cf. Hommage à Carlo Alberto Dalla Chiesa ]. Certaines hypothèses font état du fait que les Américains auraient retiré leur accord au coup d’Etat au dernier moment. D’autres affirment que Lucio Gelli manipulait le prince Borghese afin d’obtenir des garanties de la Démocratie chrétienne. Il est fort probable le prince Borghese savait que le coup d’Etat n’irait pas à son terme. Dans tous les cas, l’intimidation prit ses racines en Calabre avec la complicité de la ‘Ndrangheta [la mafia calabraise] et de Cosa nostra…«
L’opération Tora Bora est l’énième action de la stratégie de la tension (1947-1989). Les services de renseignement italiens participèrent activement à cette stratégie. Le SIFAR, le premier service de renseignement des forces armées — largement financé par les industriels italiens — aurait fomenté un coup d’État en 1964. Le directeur du SID — Service d’information de la Défense, qui succède au SIFAR — fut impliqué dans l’attentat de Piazza Fontana en 1969 et dans le coup d’État Borghese. Après de tels évènements, on comprend que l’Italie ait réformé ses services de renseignement en 1977 puis en 2008. Pour en savoir plus sur ces réformes, cliquez sur le doc à gauche ; il s’agit d’un article paru au sein de la publication en photo en haut à droite Renseignement, Média et Démocratie).
Mafias italiennes et relations internationales
Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne
Fabrice RIZZOLI
LES MAFIAS ITALIENNES ET LA FIN DU MONDE BIPOLAIRE
Relations « politico-mafieuses » et activités criminelles à l’épreuve des relations internationales
Thèse dirigée par M. le président Jacques Soppelsa
Soutenue le 22 janvier 2009
Mention très honorable à l’unanimité des membres du jury :
M. le professeur Charles Zorgbibe
M. le professeur Michel Carmona
M. le professeur Simon Petermann
Professore Giuseppe Muti
Mikhail Lebedev (Михаил Лебедев)
La vulgarisation médiatique du mot “ mafia ” empêche l’approche scientifique d’un phénomène recouvrant des réalités très hétérogènes. La mafia est un sujet politique organisé qui s’adapte aux changements socio-économiques. La mafia exerce une souveraineté sur un territoire donné. À partir de cette seigneurie territoriale, elle structure et perpétue un système fondé sur la violence et l’illégalité. La mafia gère un réseau vaste et ramifié de complicités. Elle anime un code culturel enraciné mais souple et jouit d’un relatif consensus social de la part de la population. En Italie, quatre organisations mafieuses constituent un vaste sujet d’étude scientifique.
L’étude des mafias inscrite dans le cadre plus général de l’histoire de l’Italie a démontré qu’elles constituaient un véritable instrument de gouvernance de cet État. Au cours de la guerre froide, elles ont été utilisées comme des forces d’endiguement du communisme. En échange, elles ont bénéficié de l’impunité. Avec la fin de la menace communiste, les relations « politico-mafieuses » entrent dans une ère nouvelle. Acculées par l’offensive des magistrats, la mafia sicilienne opta pour une stratégie terroriste. Le but était de trouver de nouveaux référents politiques.
Depuis la fin de l’antagonisme entre les deux blocs, la sophistication des mafias a été renforcée. Elles contrôlent leur territoire d’élection et ont une dimension transnationale. Elles incarnent ce mouvement d’informations, d’argent, de biens, de personnes à travers les frontières nationales au sein desquels les acteurs gouvernementaux se font rares. Les mafias sont des acteurs majeurs de l’économie mondiale intégrée et le reflet de cette nouvelle donne. Au bout du compte, l’étude des mafias montre qu’elles sont des phénomènes structurels et systémiques de la mondialisation.
Mots clefs : géopolitique, Italie, mafias, Etat, gouvernance, contrôle du territoire, transnationalité, Guerre froide, mondialisation, drogue, “bourgeoisie mafieuse ».
Le terrorisme mafieux dans la crise du système politique italien
Analyse géopolitique des relations « politico-mafieuses » après la chute du mur de Berlin,
revue de l’Institut de Recherche de L’European Business school, n°11, 2008
Entre 1992 et 1993, Cosa nostra sicilienne commet pas moins de 7 attentats dont celui de Florence en 1993 (en photo) ; des attentats déjà évoqués le 12 janvier 2002 au cours d’un colloque et qui ont fait l’objet d’une attention particulière dans un article tiré d’un thèse (cf. Mafias italiennes et relations internationales) :
La fin de la confrontation « Est-Ouest », entraîne dans sa chute le « système politico-mafieux » d’après-guerre et la « première République » (1945-1992)1. Au cours de la « deuxième République », les mafias italiennes perdent l’importance qu’elles ont eu sur la scène politique et militaire dans la stratégie américaine du containment visant à empêcher tout pays du monde libre à basculer dans le communisme.
Les années quatre-vingt dix sont d’abord marquées par une confrontation entre la justice, les organisations mafieuses et une partie de la classe politique. De 1992 à 1994, l’Italie connaît une phase d’instabilité politique et économique. De nouvelles lois, un relatif renouveau de la classe politique amène à penser qu’une « seconde République » est née. Ce contexte permet une offensive des magistrats contre les organisations mafieuses et leurs complices. Face à ce nouveau rapport de force, la mafia s’adapte et reconquiert les alliances politiques. L’alibi de la lutte contre le communisme qui freinait la répression contre les mafias semble caduc. Les politiques ne sont plus en mesure de garantir l’impunité des mafieux. Les relations-politico-mafieuse semblent entrer dans une nouvelle ère.
Les magistrats profitent de ce vide politique et de la remise en cause de la loi du silence pour infliger des coups sérieux aux organisations mafieuses. La réponse de la mafia se résume à une stratégie terroriste. Par la suite, les victoires étatiques comme la terreur mafieuse ont peut-être laissé place à une nouvelle forme de pacte.
La suite :
1 La notion de changement de République en Italie ne repose pas sur une rupture constitutionnelle comme c’est le cas en France.
Jeunesse et hérédité de Silvio Berlusconi
Silvio Berlusconi est né le 29 septembre 1936 à Milan. Il est le premier de trois enfants, deux garçons et une fille. Son père, Luigi Berlusconi, est employé à la Banque Rasini. Sa mère, Rosa Bossi, est femme au foyer. Cela commence mal. La banque Rasini est une des banques des familles mafieuses de Palerme. Silvio Berlusconi fréquente dès son plus jeune âge un milieu obscur. Un psychologue dirait que son père a réussi sa transmission…
En 1954, il obtient le baccalauréat, section lettres classiques, au lycée catholique Copernic et s’inscrit en droit à l’université d’Etat de Milan. Il fait occasionnellement du porte-à-porte pour vendre des brosses électriques. Il fait également des photos lors de mariages et d’enterrements. Il joue de la basse et chante dans l’orchestre d’un ami d’enfance, Fedele Confalonieri, mais aussi sur des bateaux de croisière. En 1957, il a son premier emploi occasionnel dans le secteur de l’immobilier et de la construction.
Bonne nuit Graziella
Le 18 mars, La Cour d’assise d’appel a confirmé la condamnation à vie des mafieux Gerlano Alberti (Jr) et Giovanni Sutera. En 1987, ces derniers avaient assassiné Graziella Campagna, 17 ans. La photo à gauche la représente peu de temps avant son décès. L’Etat italien a mis six ans à lui rendre justice. La mafia n’est pas le seul acteur de la société à avoir porté atteinte à cette jeune femme.
Les faits :
Un jour de décembre de 1985, la jeune femme travaillait dans une blanchisserie. Dans la poche d’une chemise, elle découvre des documents compromettant la « latitanza », la cavale, de Gerlando Alberti dans la région de Messine. Alberti était un chef mafieux très puissant. Il fit assassiner la jeune femme de cinq coups de fusil de chasse, lui défigurant volontairement le visage.
La mafia parle à la population :
La mise en scène de la cruauté constituaient un avertissement contre toutes personnes ayant des velléités de citoyenneté.
Graziella a été tué quatre fois :
- Une première fois par Cosa nostra le 12 décembre 1985.
- Une seconde fois par l’Etat italien. Après ce meurtre, ni les institutions ni la presse, n’ont cherché à résoudre ce crime odieux. Il semble que la région de Messine était un lieu de repli pour les trois mafias italiennes. Des complicités au sein des institutions ont passé leur temps à commettre des actes de « dépistages », terme italien pour indiquer l’altération des preuves et le conditionnement de la justice pour empêcher la manifestation de la vérité. L’enquête n’a été réouverte qu’en 1997; grâce à l’obstination du frère de la victime.
- Un troisième fois par la justice « escargot » italienne. En 2006, les prévenus avaient été libérés parce que les délais légaux de leur détention provisoire étaient dépassés (comme dans le cas de Giuseppe Riina, cf. art. 14).
- Une quatrième fois par le ministre de la justice. Au mois de novembre 2007, Clemente Mastella avait reporté la diffusion d’un téléfilm racontant l’histoire de Graziella. D’après lui, cette fiction télévisée conditionnait la bonne marche du procès en cours. Comment la vie d’une jeune femme de 17 ans aurait-elle pu altérer le principe d’un procès juste et équitable? Les mafieux n’ont-ils pas disposé des meilleurs avocats et de ressources économiques colossales pour assurer leur défense? Nous remarquerons que le ministre de la justice italienne raisonne comme les mafieux (cf. art. 18). Dans une autre affaire, des mafieux, par le bais de leurs avocats, ont attaqué le journaliste Saviano, considérant que ses articles conditionnaient leur procès!
Enfin, Clemente Mastella est le sénateur qui a fait chuter le gouvernement de centre-gauche au mois de janvier dernier. L’ancien ministre de la justice, mis en examen pour des délits de fraude, ne se sentait pas soutenu par ses camarades politiques. Si, comme les sondages le signalent, Silvio Berlusconi est élu au mois d’avril, Clemente Mastella aura contribué activement à remettre au pouvoir un homme politique dont la carrière doit beaucoup à la mafia (Na n°35 cf2r.org ).
Graziella a été assassiné quatre fois parce que les personnes chargées de lui rendre justice n’ont pas accompli leur mission. Elles ont assuré 23 ans d’impunité à la mafia et ont renforcé son pouvoir.
L’arrestation de Pasquale Condello ; le dernier grand parrain calabrais ?
Dès les années soixante dix, au cours de la première guerre de ‘Ndrangheta, le jeune chef de ndrine avait fait alliance avec la puissante famille De Stefano. Au cours de la seconde guerre de 1985 à 1991, Pasquale Condello s’opposa au cartel De Stefano-Tegano-Libri pour rejoindre le cartel Imerti-Rosmini-Fontana. Cette guerre fit plus de 1 000 morts sans qu’un camp ne remporte une victoire claire.
En 1989, Pasquale Condello augmente son prestige mafieux en commanditant un des meurtres les plus importants de la ‘Ndrangheta, un « cadavre exquis » selon l’expression consacrée en Italie. Le 27 août 1989, l’ex Président des chemins de fer italiens, Ludovico Ligato, est assassiné parce qu’il était proche du clan adverse. Originaire de Reggio, il avait fait une carrière politique à Rome est était devenu Président d’une des plus importante administration d’Etat. Après une période de disgrâce, Ligato était revenu à Reggio pour créer une myriade de sociétés destinées à récupérer les fonds publics destinés à la Calabre. Pasquale Condello ne pouvait pas laisser le groupe De Stefano rafler la mise. Depuis le début des années 90, Pasquale Condello était « latitante » c’est à dire en cavale. La justice italienne le recherchait pour accomplir la peine de 4 condamnations à vie et vingt deux ans de prison. Cette clandestinité ne l’a pas empêché pas de participer à des sommets mafieux. Pasquale Condello bénéficiait d’un vaste réseau de protection. Le patrimoine de ce mammasantissima est estimé à 50 millions d’euros. Il est constitué, entre autres, d’immeubles et d’activités commerciales dans toute l’Italie. Au-delà des complicités familiales surveillées pas la police, les personnes, en particulier celles chargées de gérer son patrimoine, sont les mieux placées pour avoir assuré cette longue impunité.
Cosa nostra sicilienne : la succession du » capo dei capi «
En Sicile, la réalité dépasse la fiction. La mafia locale, Cosa nostra, dispute la suprématie de l’île au pouvoir italien. Quoiqu’en disent certains, le monde politico-économique local est largement gangrené par la mafia. La justice et les forces de sécurité font ce qu’elles peuvent, mais elles sont surclassées par la puissance financière que représente Cosa nostra. Cette richesse lui permet de corrompre de nombreux fonctionnaires et certains hommes politiques. Ce qui lui permet d’agir en impunité et d’accumuler encore plus de capitaux.
Le 11 avril 2006, Bernardo Provenzano, le chef de la mafia sicilienne, est arrêté à proximité de son village natal, Corleone, à 80 km au Sud de Palerme. Il était en fuite depuis 1963 et avait pris la tête de la Coupole, l’organe dirigeant de Cosa nostra après l’arrestation de son prédécesseur Salvatore « Toto » Riina. Riina a été condamné à la prison à vie pour sa responsabilité dans quelques 300 homicides. Provenzano ne sera jugé que pour 127 meurtres ! Il a d’ailleurs été condamné par contumace à dix fois la perpétuité. Et pourtant, il est considéré comme celui qui a choisi la « stratégie de l’immersion », c’est-à-dire d’une plus grande discrétion des activités mafieuses, en particulier, la fin des attaques dirigées contre les représentants de l’Etat. Provenzano avait prôné une « Pax mafiosa », demandant aux différentes familles de ne pas se livrer à des violences visibles. Il était aussi l’artisan d’une récolte plus souple de l’impôt mafieux. Son credo était « qu’il payent moins mais qu’ils payent tous ». Pendant toutes ces années de cavale, Provenzano n’a quitté la Sicile que très rarement, en particulier fin 2003, pour se faire soigner de la prostate dans une clinique de Marseille.
La direction « transitoire » de Cosa Nostra
Depuis son arrestation, le problème de sa succession à la tête de Cosa Nostra se pose. Selon le procureur national anti-mafia Piero Grasso, un triumvirat dirige actuellement l’organisation sicilienne : Matteo Messina Denaro, Salvatore Lo Piccolo et Dommenico Racuglia.
– Matteo Messina Denaro est né le 26 avril 1962, à Castelvetrano, dans l’Ouest de la Sicile. Il contrôle la province de Trapani et entretient des liens étroits avec les cartels sud-américains. Il aurait ses entrées au Venezuela qui devient, avec le Mexique, un carrefour incontournable pour la coca colombienne. Il est associé depuis le début des années 1990 avec les familles Cuntrera et Caruana, originaires de Siculiana et établies aux Etats-Unis. Denaro a été condamné à la prison à vie pour des attentats à la bombe survenus en 1993 à Rome, à Florence et à Milan, ayant fait 10 morts. Le but de cette campagne terroriste menée par Salvatore Riina, était d’assouplir les conditions de détention des chefs de Cosa Nostra incarcérés. Depuis 1993, Denaro échappe aux forces de sécurité italiennes. Il entretenait les meilleurs rapports avec Toto Riina puis avec Provenzano et il rendait des comptes à ce dernier en lui adressant des pizzini1.
– Salvatore Lo Piccolo est né en 1943. Il contrôle la grande majorité des quartiers nord de Palerme, qui sont les plus peuplés et considérés comme des bastions historiques de la mafia. D’après la Direction des enquêtes antimafia (DIA), Lo Piccolo a étendu son influence à l’ouest de Palerme dans les villes de Carini, Cinisi et Terrasini2. Il disposerait, en outre, d’alliances solides dans les villes de Mistretta et de Tortorici comme dans une partie de Messine. Jugé comme l’homme qui a le plus d’expérience, il a toujours privilégié la diplomatie à la violence. Il a bâti sa fortune sur le trafic de cocaïne, l’extorsion de fonds et l’attribution de contrats de génie civil. Il vit dans la clandestinité depuis 1983.
Son fils Sandro, né en février 1975, aurait déjà au moins deux meurtres à son actif. A la différence de son père, bien qu’également en cavale, il serait très voyant, aimant le luxe, les femmes et la belle vie.
Les Lo Piccolo sont connus pour entretenir d’excellentes relations avec « la » Cosa Nostra, la mafia italo-américaine. Salvatore Lo Piccolo a organisé le retour en Sicile de la famille Inzerillo, qui vivait en exil aux Etats-Unis depuis la victoire des Corléonais en 1982. L’expansion des Lo Piccolo et le retour des perdants de la grande guerre des mafias a suscité de fortes tensions au sein de Cosa Nostra en Sicile. Antonino Cina, Antonino Rotolo et Franco Bonura – une triade de mafieux qui assistaient Provenzano – ont été appréhendés en juin 2006 lors d’une opération de police baptisée « Ghotta ». Ils projetaient de faire exécuter les Lo Piccolo. Ces trois proches de Provenzano étaient déjà rivaux des Lo Piccolo avant même l’arrestation de ce dernier.
– Domenico Raccuglia, né le 27 octobre 1964, est le chef du mandamento de Corleone. Ce canton mafieux regroupe les communes de Corleone, Altofonte, San Giuseppe Jato et Partinico dans l’arrière pays de Palerme. Il est en fuite depuis 1996 et recherché pour meurtres, conspiration mafieuse, attaques à main armée et extorsion de fonds.
La reprise des affrontements internes
Pour le moment, la violence semble encore contenue. La « concurrence » ayant été éliminée par les forces de police qui ont incarcéré un nombre impressionnant de chefs de familles. Mais il n’est pas dit que l’avenir demeure aussi calme et certains prédisent des guerres de clans. Dans ce petit jeu, les Palermitains semblent actuellement les mieux placés parce que la mafia sicilienne, c’est Palerme ! La tentative d’assassinat de la triade proche de Provenzano envers les Lo Piccolo semble en être la démonstration.
Dès à présent, des indices laissent penser qu’une guerre interne a débuté. Ainsi, le 16 juin 2007, Nicolo Ingarao – le « régent » de la famille de Porta Nuova, un quartier de Palerme – a été assassiné par deux hommes à moto qui lui ont logé six balles dans le corps. Ingarao était un proche de la triade Bonura-Cina-Rotolo. Il semble que son assassinat ait été commandité par Salvatore Lo Piccolo. La personnalité, le rang de la victime et le fait qu’il s’agit du deuxième meurtre de type professionnel qui survient en trois jours à Palerme inquiètent les autorités.
Le rôle de la bourgeoisie mafieuse en Sicile
Il ne faut pas analyser Cosa Nostra uniquement sous son angle « militaire ». En effet, la Sicile est en proie à une
« bourgeoisie mafieuse ». Selon le sociologue Umberto Santino – considéré comme l’un des plus grands spécialistes de la mafia – le phénomène mafieux est un paradigme de la complexité socio-criminelle. « Le mot mafia définit les organisations criminelles qui agissent au sein d’un vaste réseau de relations. Ces organisations élaborent un système qui repose sur la violence et l’inégalité afin d’accumuler des capitaux et du pouvoir. Elles usent d’un code culturel et jouissent d’un relatif consensus social. Le système relationnel mafieux est composé de rapports de parenté, d’amitié, d’intérêt, de contiguïté et de complicité. Ce réseau s’affirme dans des conditions de développement comme de sous-développement économique. Ces relations composent un corps social hiérarchiquement organisé. Les catégories sociales les plus pauvres représentent le bassin de recrutement de la main-d’œuvre pour les mafias. Les sommets de l’organisation mafieuse sont capables de sceller un pactum sceleris avec les plus hautes sphères du pouvoir politique et économique, la haute société »3. Le tout forme un club privé que le sociologue palermitain qualifiede « bourgeoisie mafieuse ».
Par exemple, la ville de Corleone – qui fut popularisée par le film Le Parrain et qui dépend des compétences de Raccuglia – est actuellement aux mains des frères Lo Bue. La tante de ces derniers n’est autre que la compagne de Provenzano. Dans la plus pure des traditions mafieuses, les frères Lo Bue étaient les gardiens des terres de Giuseppe Provenzano4, le président de la région Sicile de 1996 à 2001. En 2001, à peine élu maire de Corleone, Ciccio Nicolosi, désignait l’avocat de Toto Riina comme adjoint chargé de la culture et du tourisme.
A l’issue des élections du 28 mai 2006, Salvatore Cuffaro a conservé la présidence de la région Sicile avec 52,2% des suffrages exprimés. Cuffaro appartient à l’UDC, un parti du centre – issu de l‘ancien Démocratie chrétienne – qui fait partie de la coalition dirigée par Silvio Berlusconi. Son adversaire principal, Rita Borsellino5, obtient pour sa part 42,96% des voix. Or, Cuffaro était soupçonné par les autorités judiciaires d’entretenir des « connivences » avec Cosa nostra ! Il est d’ailleurs sous le coup de trois mises en examen, mais il semble que cela ne nuise pas à sa carrière politique. Il est de notoriété publique que de nombreux candidats sont élus avec les voix de la mafia sicilienne.
Cosa nostra est riche et prospère. Même si le projet pharaonique d’un pont reliant la Sicile à la péninsule italienne a été abandonné par l’administration Prodi, d’autres chantiers immobiliers vont se développer dans l’avenir. Les nombreux incendies criminels qui ont eu lieu cet été sur l’île semblent d’ailleurs avoir été déclenchés avec trop de coordination pour n’être que le fait d’incendiaires amateurs. Beaucoup y voient la main de Cosa Nostra qui a ainsi travaillé au profit de promoteurs immobiliers rencontrant des problèmes d’expropriation avec quelques petits propriétaires terriens. Par ailleurs, on assiste à une recrudescence des actes d’intimidation envers les commerçants siciliens. La « diplomatie » Provenzano est bien caduque. Il est donc logique de penser que la situation va perdurer, même si certains chefs d’entreprises se révoltent contre le pizzo (racket) à grands renforts de publicité.
1 Petits morceaux de papier roulés en boule contenant des messages chiffrés qu’utilisait Provenzano pour communiquer avec son organisation.
2 Rapport DIA, deuxième semestre 2006.
3 Santino (Umberto) : La mafia interprétée, Dilemmes, stéréotypes, paradigmes, Rubbettino, Soveria Manelli 1995, pp 145 ss.
4 Aucun lien de parenté avec Bernardo Provenzano.
5 La sœur du juge antimafia Paolo Borsellino assassiné par Cosa nostra, le 19 juillet 1992.
Cosa nostra s’engage-t-elle, à nouveau, sur la voie du terrorisme ?
Après avoir opté pour une stratégie terroriste de 1992 à 1993 sur l’ensemble du territoire italien1, Cosa nostra a subi d’importants effets « boomerang », comme celui de la réaction des autorités2 et celle du phénomène des repentis (cf. 12 janvier 2002, un étudiant et un colloque sur les attentats de 1992-1993). Depuis lors, la mafia sicilienne a opté pour une autre stratégie, celle de « l’invisibilité » sous le commandement symbolique de Bernardo Provenzano « en cavale » depuis 40 ans3. Cependant, des événements récents pourraient conduire à la fin de cette pax mafiosa.
Dans la soirée du 29 octobre 2005, les forces de l’ordre 4 ont arrêté deux membres de la mafia de Gela dans le Sud de la Sicile, parce qu’ils préparaient un attentat contre le juge Ottavio Sferlazza. D’après les enquêteurs, le plan était dans sa phase conclusive puisqu’il était question d’utiliser une grosse quantité d’explosif sur la route Caltanissetta-Gela, empruntée quotidiennement par le magistrat.
Le premier élément d’analyse réside dans l’importance de la cible. Sferlazza était jusqu’il y a peu président de cour d’assise dans de nombreux procès concernant précisément l’assassinat de juges5 . Le plus célèbre demeure celui du massacre de Capaci6 contre le juge Falcone en 1992. Ottavio Sferlazza, est réputé pour sa grande sévérité, car il a condamné de nombreux chefs mafieux, en particulier ceux de Gela. Or, les deux mafieux arrêtés, Salvatore Azzerello (29 ans) et Paolo Palmeri (38 ans7 ), appartiennent au clan Rinzivillo de Gela, ce dernier étant même considéré comme le « gérant » de cette famille mafieuse.
Le magistrat a été placé sous haute protection et des perquisitions sont en cours afin de découvrir quels autres membres de l’organisation ont projeté l’attentat. En outre, l’affaire est suivie de près par la Direction nationale antimafia (DNA)8 , car un élément est particulièrement inquiétant. En effet, le plan a été révélé par un commerçant non connu des services de police qui, après avoir été ruiné par le racket, a été recruté pour préparer l’attentat. Utiliser des personnes extérieures à l’organisation pour commettre un délit mafieux aussi important est une démarche rare et peu sûre. Ces événements en sont la preuve. Ce mode opératoire tend à démontrer qu’il s’agissait d’un acte de vengeance local qui n’avait l’aval de la hiérarchie. Or, la famille Rinzivillo est sous le contrôle du « boss » Piddu Madonia, fidèle allié du chef de Cosa nostra, Bernardo Provenzano, celui la même qui a opté pour une organisation « souterraine ».
Par conséquent, si le clan Rinzivillo a opéré avec « l’autorisation », nous sommes en présence d’un changement de stratégie historique. En revanche, si le clan a agi de sa propre initiative, il a pris le risque de provoquer des tensions au sein même de l’organisation. Les mafias sont caractérisées par la notion de contrôle de territoire. Puisque l’attentat devait avoir lieu entre Caltanissetta et Gela, dans le centre de la Sicile, une région discrète mais à forte densité mafieuse, il fallait l’assentiment des familles sous peine de déclencher une guerre de mafia.
Par ailleurs, cette tentative d’attentat arrive après le meurtre de Maurizio Lo Iacono9 à Particino, à 30 km de Palerme, le 4 octobre 2005. Maurizio Lo Iocono, chef mafieux émergent de 34 ans, récemment sorti de prison, profitait de la crise de la famille de Vito Vitale10 pour étendre son influence. Les enquêteurs pensent logiquement que le clan Vitale a fait tuer l’entreprenant Lo Iacono. Cependant, la victime était un proche de Bernardo Provenzano, ce qui peut faire penser, non pas à un simple règlement de compte, mais à une rupture de l’équilibre qui anime la pax mafiosa des dix dernières années.
Enfin, le 16 octobre 2005, le vice-président de la région Calabre a été assassiné par des hommes de la ‘Ndrangheta, l’organisation criminelle de type mafieux calabraise (cf. L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux). Si les deux évènements de Sicile et de Calabre n’ont pas de rapport direct entre eux, ils sont à intégrer dans une réflexion plus large sur le contexte politico-mafieux italien à l’approche des élections législatives d’avril 2006.
Ainsi, en dépit des nombreux succès des forces de l’ordre11 , il semble une fois encore que la partie contre la mafia se joue à Rome.
- 1Cf. Fabrice Rizzoli, « L’Etat italien face au terrorisme mafieux », Actes du colloque « Etat et terrorisme », Démocraties, 12 janvier 2002, publiés aux éditions Lavauzelle, collection Renseignement et guerre secrète, p. 45.
- 2Arrestations des principaux chefs corleonais : Salvatore (Toto) Tiina, Leoluca Bagarella, etc.
- 3Mais qui s’est fait opérer en France l’année dernière.
- 4Le mandat été émis par le procureur Francesco Messineo, le substitut Roberto Di Natale, les magistrats près la Direction provinciale antimafia Nicolo Marino et Antonino Patti. Les arrestations ont été effectuées par la police de Caltanissetta et de Gela.
- 5Chinnici, Antonino Saetta et le capitaine de carabiniers Emmanuelle Basile.
- 6Le 23 mai 1992, entre Palerme et l’aéroport de Punta Raisi, à la hauteur de la ville de Capaci, 550 kilos d’un mélange de TNT et de nitroglycérine caché sous une conduite d’eau souterraine explosait sous la chaussée de l’autoroute !
- 7Propriétaire d’une entreprise de transport, a déjà été condamné pour extorsion, trafic de cocaïne, d’héroïne et de marijuana.
- 8La DNA a un nouveau procureur Pietro Grasso et c’est la polémique car le gouvernement Berlusconi a tout fait pour empêcher la nomination d’un autre procureur bien plus expérimenté en la matière : Gian Carlo Caselli, ex-procureur de Palerme.
- 9Fils de Francesco Lo Iacono, vieux mafieux de premier ordre du capomandamento (canton au sens mafieux) de Particino.
- 10Vito Vitale est depuis longtemps en prison avec ses frères et ses soeurs dont une (Giusy) est devenue collaboratrice de justice.
- 11Arrestation de deux chefs, un de Cosa nostra (Umberto di Fazio du clan Santapaola de Catane) et un de la ‘Ndrangheta (Sebastiano Strangio arrêté au Pays-Bas) au mois d’octobre.