Archive pour la catégorie ‘Camorra, mafia napolitaine’

Leçon de légalité par un collégien et un handicapé mental

Le 10 août 2007, un tueur, envoyé par le clan Di Lauro, a assassiné Nunzio Cangiano, 46 ans, appartenant au clan des « sécessionnistes » de Secondigliano dans la périphérie nord de Naples. Du point de vue de la logique mafieuse, Nunzio Cangiano, aurait eu le tort de passer du côté du clan Amato-Pagano, « les sécessionnistes », qui semblent sortir vainqueur de leur affrontement avec les Di Lauro. Ces derniers ont donc tué Nunzio Cangiano pour sa trahison. On appelle cela la « violence programmée » (Umberto Santino-Csd). Le tueur, Mario Buono, 22 ans, s’est présenté devant un parc d’attraction et a froidement tiré sur le camorriste qui attendait dans la file, avec sa femme et ses enfants.

Un témoin, âgé de 13 ans, a reconnu le tueur et a accepté de collaborer avec la justice. Vous pouvez retrouver les détails folkloriques de ce témoignage dans un article de Libération.
Le jeune témoin est désormais protégé dans un lieu tenu secret par peur des représailles. Il va au collège et joue au Football quelque part dans une localité du Nord de l’Italie. Les mauvaises langues prétendent que cette nouvelle vie est une chance pour l’adolescent courageux. Le milieu dont il provient est bien plus défavorisé. C’est sans tenir compte que sa vie est à jamais bouleversée.
Sur les territoires de la mafia, ce type de collaboration est rare. Cependant, le 18 novembre 2006, un jeune homme de 20 ans, atteint du syndrome de Down, a reconnu un tueur de la Camorra lors d’un meurtre survenu à Castellamare di Stabia (littoral napolitain). Les juges ont déclaré son témoignage crédible et ils ont accepté qu’il témoigne prochainement devant la Cour d’Assise.
Le comportement de ces deux citoyens est en totale contradiction avec celui des politiciens italiens. Le gouvernement Berlusconi, de 2001 à 2006, a promulgué plusieurs lois favorisant la mafia comme celle du rapatriement des capitaux blanchis à l’étranger. En 2006, le centre-gauche avait été élu sur la promesse d’abroger ces lois. Depuis 21 mois, les électeurs attendent ces réformes.
En Italie, un adolescent et un handicapé mental donnent des leçons de courage et de légalité à la classe politique.

De la Camorra et des cols blancs

Le 27 février 2008, les carabiniers ont arrêté Ciro Fierro, 24 ans mais déjà un camorriste de haut rang. Il appartient au clan des « sécessionnistes » de la Camorra napolitaine (cf.Les clans de la Camorra en recomposition). Depuis 2005, ce clan se livre à une guerre contre le clan Di Lauro dans le quartier populaire de Secondigliano. Il a été arrêté dans les région des Marche dans le centre de I’Italie sur la carte à gauche. Cependant, Il est difficile de croire que Fiero se mettait au vert. Il se livrait à une opération d’infiltration dans la ville de Civitanova dans la région des Marche. Il était en possession de deux kilos de cocaïne, de 59 000 euros en liquide et de deux pistolets (un calibre 9×21 et un 38 ) dont les deux numéros avaient été limés.

Le 6 mars 2008, les carabiniers du Ros, spécialisés dans l’action contre le crime organisé, ont arrêté trois camorristes de haut rang de la ville de Nola. Parmi eux figurent, Domenico Russo, Giovanni Pandico et Salvatore Russo, le fils du boss déjà emprisonné.

Les carabiniers ont aussi procédé à la saisie de biens pour une valeur estimée à 300 millions d’euros. Certains des biens sont des supermarchés de la marque Deco, des agences immobilières, des terrains, des appartements et des voitures de luxe. Les enquêtes ont mis à jour des comptes bancaires en Italie et en Suisse. Les enquêteurs ont découvert des violations des normes contre le blanchiment de la part des banques de connivence.
En effet, sans la complicité des « cols blancs », la mafia n’existerait pas.


Ps : le calibre 9mmX21 IMI (98 FS) est un calibre « civil » spécifiquement utilisé dans des armes de poing italiennes (Beretta). Cette munition a été développée car les tireurs sportifs italiens n’ont pas accès aux munitions « de guerre » comme le 9mmX19 (9 mm parabellum) qui équipe l’OTAN (ce n’est pas le cas en France ou tout membre de la FFTir remplissant les conditions nécessaires peut acquérir des armes militaires, dans la mesure où elles ne peuvent tirer en rafale) . Les capacités techniques de cette munition sont identiques à celles du 9 mm parabellum, mais ne peuvent être chambrées dans une arme militaire. Tout cela est dû à la « curiosité » de la législation sur les armes en Italie. C’est pour cette raison que l’on ne trouve le 9X21 imi qu’en Italie. Il n’est donc pas surprenant de retrouver cette munitions dans les mains de mafieux (elle a sans doute été dérobée), Rodier (Alain), cf2r.

La vie politique en Campanie

Le rapport des services de renseignement italiens signale que les clans de la Camorra ont encore une très grande capacité à infiltrer les administrations locales. C’est la raison pour laquelle, leur responsabilité est avérée dans la crise de la gestion des déchets (cf. Article Libé)
Au moment où est rendu public le rapport, on apprend que le maire de la petite ville de Cervino a été assassiné.
Giovanni Piscitelli, 52 ans, était infirmier à l’hôpital de Caserta. Il était tête d’une liste de centre gauche. D’après les premières constatations, l’homme a été ligoté et enfermé vivant dans sa voiture avant qu’on n’y mette le feu. Son corps a été retrouvé à moitié carbonisé à côte du véhicule. Les enquêteurs pensent que la victime a pu sortir du coffre mais il était trop tard. Le maire avait des antécédents pénaux pour abus de bien publique. D’après les journalistes de la Repubblica, les relations entre le maire et certains fonctionnaires de la mairie était tendues. Le premier citoyen de la ville avait suspendu certains d’entre eux. Dans la province de Caserta, les administrations d’état sont soumises à de très fortes pressions de la part des clans de la Camorra. Il est difficile de penser que ce meurtre ait eu lieu sans la participation d’un clan et il faut espérer que ce crime ne restera pas impuni.

Un réseau politico-mafieux démantelé en Italie

région de l'Ombrie

Le 12 février 2008, sur ordre du parquet de Perugia, dans le centre de l’Italie, les carabiniers ont arrêté plus de cinquante personnes dans le cadre d’une enquête mêlant des intérêts politiques, économiques et mafieux. L’ensemble de ses personnes formait un réseau criminel qui s’adonnait à différentes fraudes dans le domaine du génie civil, à la construction, au trafic de drogue et à l’extorsion.
Le processus était le suivant :
Les clans camorristes des Casalesi et les ‘ndrines calabraises Morabito-Palamara-Bruzzaniti pratiquaient le racket sur le territoire. L’argent acquis était réinvesti soit dans le trafic de cocaïne, soit dans le bâtiment et les travaux publics. En ce qui concerne le trafic de stupéfiants, les clans approvisionnaient la région Umbrie en cocaïne. La commercialisation était, sur place, assurée par les gangs d’Albanais et des malfrats locaux.
Les ‘ndrines avaient jeté leur dévolu sur les appels d’offres concernant des infrastructures touristiques et celle de la centrale hydroélectrique de Vallata dello Stilaro qui se trouve sur la commune de Bivongi. Ce bourg est situé dans les montagnes de l’Aspromonte dans la province de Reggio en Calabre.
Pour obtenir ces marchés publics, les mafieux calabrais bénéficiaient de complicités de la part de fonctionnaires de  l’administration communale et régionale. Il s’agissait pour les familles mafieuses calabraises de connaître à l’avance les travaux et les financements prévus ainsi que les prix affichés par les sociétés concurrentes. Avec ses informations, les mafieux proposaient des tarifs inférieurs et gagnaient les appels d’offres. Pour tenir ses coûts, les sociétés mafieuses utilisaient des matériaux de mauvaise qualité ainsi que de la main d’œuvre essentiellement composée de clandestins, des « extra communautaires » comme le disent les Italiens. Enfin, les enquêteurs ont relevé la violation systématique des normes de sécurité sur les chantiers. Accessoirement, ce réseau avait aussi mis en place un vol de voitures organisé à des fins de recyclage de chèques falsifiés.
Les forces de l’ordre ont appelé cette opération « Naos ». Elles aiment donner des noms originaux à leurs actions. En l’occurrence, on ne sait pas si cela renvoie à l’étoile Naos ou s’il s’agit d’une référence « au saint des saints », la pièce la plus importante dans les temples de la Grèce antique…
A regarder les personnalités arrêtées, nous pencherons pour la deuxième hypothèse :
– le responsable du tourisme de la région Calabre
– le maire de Staiti
– le maire adjoint de Brancaleone,
– un agent administratif de Brancaleone
– de nombreux professionnels des milieux économiques et financiers.
Ces personnes demeurent présumées « innocentes ». Il faut attendre les trois instances de la procédure judiciaire pour qu’une condamnation soit définitivement prononcée. Rendez-vous dans dix ans… le temps d’une dizaine d’élections.
En l’espèce, le responsable du tourisme de la région Calabre, Pasquale Tripodi, appartient à l’Udeur, un parti du centre. Son leader, Clemente Mastella, était, depuis plus d’un an, allié au gouvernement national de centre gauche dirigé par Romano Prodi (cf. La droite européenne félicite la gauche italienne pour son bilan économique). Cependant, impliqué ainsi que sa femme pour des délits de corruption et de clientélisme, Clemente Mastella a fait chuter le gouvernement Prodi en passant au centre droit. En conséquence quoi, le Président de la région Calabre, Agazio Lorieo qui anime une coalition de centre gauche, venait de révoquer « pour incompatibilité politique » le responsable du tourisme.
Conclusion sur les mafias et la légalité en Italie :
1. En Italie, les relations politico-mafieuses, même locales, ont des répercussions sur la vie politique nationale c(. L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux
2. La mafia n’existe que parce qu’elle dispose de complicité au sein de la fonction publique, des professions libérales et du monde de la politique (cf. « Bourgeoisie mafieuse » : définition)
3. La mafia est un acteur économique en phase avec le libéralisme. Elle utilise la main-d’œuvre bon marchée et elle a recours à des méthodes qui ressemblent à de l’esclavage.
4. La mafia est présente dans toute l’Italie comme en témoigne cet exemple. Le procureur national antimafia, Pietro Grasso parle de « tentative de colonisation » de la région Umbrie.
5. N’en déplaisent à certains, les Italiens du Nord se révèlent, parfois, aussi malhonnêtes que ceux qu’ils considèrent comme « des culs terreux ».
6. La mafia italienne utilise la criminalité locale, le grand banditisme et les criminels étrangers comme des associés ou des sous-traitants.
7. En Italie, les étrangers ne sont pas tous des criminels. La plupart d’entre eux travaillent ou se font exploiter comme dans le cas présent.

Les clans de la Camorra en recomposition

carte camorra mafiaDepuis la fin du mois d’octobre 2006, la Camorra, la mafia de la Campanie (Naples et sa région), connaît une recrudescence de violence avec douze assassinats perpétrés en deux mois. Cela porte à soixante-quinze le nombre de meurtres intervenus depuis le début de l’année. A l’image de la France – où une note des Renseignements généraux annonçait des tensions à l’occasion de l’anniversaire des émeutes d’octobre/novembre 2005 – en Italie, le rapport semestriel des services de renseignement envoyé au Parlement faisait état d’un risque de reprise des affrontements entre les différents clans. Si dans le premier cas, les prédictions se sont révélées alarmistes (mais toutes les mesures avaient été prises par les forces de police pour éviter un nouveau déchaînement de violence), dans le deuxième, elles se sont avérées justes.

Le 22 octobre, des tueurs tirent, au milieu de la foule dans le quartier de San Giovanni, à Teduccio et abattent Salvatore Attanasio (37 ans), une personne surveillée par la police. Le même jour, Antonio Invito, un chanteur de 36 ans est assassiné en raison de ses activités de vente de stupéfiants à Acerra, une ville de la grande banlieue Est.

Le 23 octobre, dans un parc au nord de la ville, Umberto Autiero, un jeune homme de 25 ans, est assassiné à son tour.

Le 26 octobre, Ciro De Falco, 42 ans, membre de haut rang du clan De Sena-Di Fiore tombe dans un guet-apens à Acerra.

Le 27 octobre, toujours au milieu de la foule, à Torre del Greco (une ville de la banlieue sud), Luigi Loffredo est abattu.

Le 28 octobre, Patricia Marino, 65 ans, issu d’une famille de la Camorra proche du clan Di Lauro est assassinée. Au nom de la guerre des clans, elle avait déjà perdu son mari, dix ans auparavant, et ses deux enfants, en juin dernier.

Le 30 octobre, une embuscade en plein centre de Naples a raison de Vincenzo Prestigiacomo, gendre d’Umberto Misso, le frère du chef de clan Giuseppe Misso (quartier de la Sanità).

Le 31 octobre, à Torre del Greco, une ville de la banlieue sud, deux repris de justice sont assassinés. L’un d’entre eux, Adriano Cirillo (37 ans) était à peine sorti de prison en raison de la grande politique de remise de peine initiée par le gouvernement Prodi. Il semble que ce meurtre soit la réponse à celui de Luigi Loffredo. Le même jour, à Sant’Antimo, Rodolfo Pacilio (36 ans) est tué très certainement en raison de son activité en tant que propriétaire d’une petite entreprise de location de jeux vidéo.

Le 8 novembre, Pasquale Russo, 41 ans, proche du clan Pianese1 est abattu par des tueurs cachés dans une ambulance volée le 1 er novembre.

Les enquêteurs ont des difficultés à savoir si ces meurtres sont le résultat d’une guerre entre clans ou au sein même d’une entité mafieuse.

Les raisons structurelles

La Camorra est une mafia constituée de clans. Elle n’a jamais réussi à se doter d’une organisation centralisée stable. Des clans
coexistent sur un même territoire, forment parfois des coalitions puis s’entredéchirent. Selon le rapport du premier semestre 2005 de la Direction des enquêtes antimafia, une centaine de clans
contrôlent en grande partie la Campanie. Il y aurait environ 7 000 Camorristes et au moins 50 000 « associés » pour une population de 5,8 millions d’habitants.

La région est divisée en six grandes zones d’influence :

  • la province du Benevento ;
  • la province d’Avellino ;
  • la province de Salerno ;
  • la province de Caserte, fief du clan des Casalesi de Casal di Prinicipe ;
  • la province de Naples : 63 communes sur 92 sont aux mains des Camorristes2 ;
  • la ville de Naples qui compte environ 3 millions d’habitants.

A Naples, l’« Alliance de Secondigliano », du nom des quartiers populaires du Nord de la ville, regroupe les clans Mallardo, Liciardi, Bochetti, Lo Russo, Contini et Di Lauro. Cependant, cette coalition n’est plus stable depuis une sanglante scission survenue dans les années 2004-2005. Les derniers meurtres en sont peut-être la conséquence, en particulier celui de Patricia Marino.

En face, un cartel fait des clans Mazarella-Misso-Sarno domine en partie le centre ville. Il avait déjà remporté une première guerre contre les clans de Secondigliano en 1998. Depuis, un pacte de non-agression avait été conclu. Cependant, il semble que le conflit se soit rallumé, surtout en raison du meurtre d’un membre
de la famille Misso.

Dans un entretien, le procureur en chef du pôle anti-Camorra n’a pas mâché ses mots : « les clans s’entretuent pour le trafic de drogue et en particulier pour celui de la cocaïne ». En vertu de la règle du contrôle de territoire qui régit tout clan mafieux, ils s’entretuent pour obtenir l’exclusivité des points de vente.

D’après une estimation de la Direction centrale du service de lutte contre la drogue dépendant du ministère de l’Intérieur, un chef qui investit un million d’euros en gagne quatre au minimum, et cela, sans même tenir compte de la coupe du produit.

Tous les clans font dans la drogue parce qu’ils disposent de trente ans d’expérience dans l’approvisionnement direct auprès des producteurs de coca (Bolivie, Pérou et Colombie) et auprès des pays tiers que sont le Venezuela, le Brésil et l’Espagne. Avec le démantèlement de la French Connection en 1974, la Cosa nostra sicilienne exporta 90% de l’héroïne aux Etats-Unis jusqu’au milieu des années quatre-vingt. A la fin des années soixante-dix, la Camorra s’engouffra dans la cocaïne. De nos jours, les clans camorristes payent le kilo de cocaïne très pure, de 3 000 à 5 000 euros ce qui est considéré comme un prix très peu élevé.

L’étude de l’âge des personnes assassinées révèle un rajeunissement de la criminalité mafieuse. A côté des vieux boss – décédés ou en prison -, une nouvelle génération de chefs aux méthodes expéditives voit le jour. En outre, d’après la déclaration du repenti Salvatore Puglia – un ancien grand trafiquant de drogue – les
principaux chefs ont changé de stratégie. Ils ne gèrent plus le trafic en première ligne, mais préfèrent encaisser un loyer mensuel entre 2 000 et 3 000 euros.

Le racket change aussi de forme. Avant, « il pizzo » était demandé trois fois par an : à Noêl, à Pâques et à l’Assomption. Désormais les clans veulent un paiement mensuel. Enfin, la frontière est de plus en plus floue entre la Camorra et la criminalité ordinaire, dans la mesure où les clans camorristes tentent de monopoliser le secteur des vols, en particulier à main armée.

La main-d’œuvre est facile à trouver avec un taux de chômage qui atteint 30% de la population napolitaine. Dans certains quartiers, les trois quarts des jeunes sont sans travail. Ces facteurs criminogènes exacerbent vraisemblablement les rivalités et expliquent en partie les meurtres actuels.

O’ Sistema, le « système »

En Calabre, le mot ‘Ndrangheta a toujours été peu utilisé par les mafieux qui préfèrent parler de « società » – la « société » – ce qui en dit long sur le caractère holistique de la mafia calabraise.

A Naples, la Camorra est en train de devenir « il sistema ». Dans cette société qui possède une plèbe unique en Europe, la pauvreté repose sur un système de lutte de tous contre tous. D’aucuns peuvent être contraints à chercher la protection des plus violents. 120 000 personnes très pauvres font face à une minorité de riches qui accumulent des patrimoines sans favoriser le développement et qui font de la politique afin que les rapports sociaux ne changent pas. Les dernières élections municipales en 2006 ont d’ailleurs démontré l’influence camorriste dans certains quartiers. Des témoignages ont fait état de votes achetés par les mafieux au prix de 50 à 70 euros le vote.

Dans les années 1990, l’antimafia avait le vent en poupe, au point que l’ex président de l’ancien Observatoire de la Camorra, Antonio Lamberti, était devenu président de la province Naples. Il avait mis fin à la pratique des parkings abusifs, une spécialité italienne. Mais, il ne put jamais abolir la pratique des vendeurs ambulants illégaux, parce que la Camorra ne le voulait pas. De même, lorsqu’il fit peindre des lignes pour les emplacements du marché, ce sont les employés communaux qui firent capoter ce projet parce que ces derniers se livraient également au commerce illégal.

A Naples comme en Sicile et en Calabre, l’envoi de l’armée ne permet pas d’endiguer le phénomène mafieux. En effet, les politiciens et les fonctionnaires, qui sont censés protéger la population de la corruption, sont souvent les premiers à demander des allocations illégales ou des faveurs illégitimes. Dans ces trois régions, les fonctionnaires sont quatre fois trop nombreux, car les politiques achètent un certain consensus via le clientélisme. En conséquence, les « combines » sont omniprésentes. Par exemple, les pêcheurs de Pozzuoli obtiennent de l’essence détaxée, mais la revendent au marché noir.

Depuis plusieurs années, sous l’influence de la Camorra, « il sistema » étend ainsi son emprise. Les mafieux se dissimulent à peine. Après avoir dérobé un camion de charcuterie, le Camorriste de Pompei, Pasquale Cirillo, publie par voie de presse l’annonce d’une « foire au saucisson ». Pendant une journée entière, des particuliers, des restaurateurs et des commerçants ambulants viennent acheter de la marchandise volée.

De même, dans le secteur de la construction, dès qu’un chantier débute, les inspecteurs de la Camorra demandent aux « O masto », les chefs de travaux, de payer la « taxe ». En cas de refus, les soldats de la Camorra tirent sur les ouvriers et alimentent ainsi la chronique judiciaire.

Ces faits ont été confirmés par le repenti Franco Albin. Il a raconté que dans les collines de Naples, à peine un chantier débutait, des coups de feu étaient tirés à fin d’intimidation. Puis, le propriétaire de l’entreprise responsable du chantier était invité au bar afin de lui expliquer que beaucoup d’« amis à nous » étaient en prison et qu’une somme s’élevant à 5% du marché public conviendrait à assurer sa protection.

Par ailleurs, il a été prouvé que le métro de Naples a été l’objet de négociations entre les habitants, les Camorristes protecteurs, les propriétaires des entreprises du bâtiment et les politiques. Les réunions avaient lieu dans les locaux des administrations et les accords étaient élaborés à l’aide des ordinateurs municipaux.

Le plus grave est le monde la santé où des immenses hôpitaux sont toujours pleins. Les pauvres y meurent et les riches vont se faire soigner dans le Nord ou en Suisse. Des enquêtes de magistrature font état d’une centaine de médecins impliqués dans un trafic de fausses ordonnances3.

Enfin, la Camorra est spécialisée dans le ramassage des ordures et dans le traitement illégal des déchets. Une partie des revenus de « l’Ecomafia » repose sur les millions que lui donne l’administration pour faire enlever les ordures. Or, les entreprises de la Camorra enterrent les déchets en pleine nature dans l’arrière-pays napolitain. Quant aux citoyens du Nord de l’Italie, qui voient les Napolitains comme des « voleurs », ils oublient un peu vite que ce sont les entreprises du Nord
qui pactisent avec les Camorristes pour se débarrasser de leurs déchets toxiques en les enterrant ou en les brûlant.

Plus inquiétant, la relève de l’élite napolitaine semble avoir déjà pris des contacts avec la pègre. Des élèves du lycée le plus huppé de Naples ont conclu un pacte avec des petits caïds qui veulent entrer dans les boîtes de nuits branchées. Le jeune de bonne famille y fait entrer le caïd qui, en échange, passe à tabac un de ses ennemis personnels, une ex-petite amie ou encore un groupe de jeunes gens qui l’importunent. Que se passera-t-il lorsque le premier sera assis sur les bancs du conseil municipal et le second appartiendra à un clan ?


1Dont le chef Nicola Pianese avait été assassiné le 14 septembre dernier.

2Estimation de la DIA, premier semestre 2005.

3La santé est un monde clef pour les mafias : le vice-Président de la région Calabre assassiné l’année dernière était médecin, tout comme son assassin(cf.L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux). Le Président de la région Sicile est un médecin accusé de favoriser la mafia et le chef de la mafia sicilienne, Bernardo Provenzano, était protégé – entre autres – par des médecins.
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