Archive pour la catégorie ‘‘Ndrangheta, mafia calabraise’

Un réseaux politico-mafieux démantelé

Le 18 mars 2008, la Direction départementale antimafia de Catanzaro en Calabre a arrêté cinq personnes soupçonnées d’avoir favorisé une ‘ndrine (famille mafieuse calabraise). 

– l’assesseur communal de la ville d’Amantea
– Un responsable à la mairie d’Amantea, est aussi accusée de complicité d’association mafieuse. Elle aurait favorisé la concession, de la part de la commune, de la gestion du port à une société liée au capo-bastone Tommaso Gentile

– Un sous-officier dans l’arme des carabiniers

– Un caporal de la Garde des finances

Les deux agents, en fonction à la Direction départementale antimafia, sont accusés de « concours externe en association mafieuse ». Ils n’appartiennent pas à la mafia mais en sont les complices

Un conseiller régional sous la bannière d’un parti du centre, l’UDEUR est accusé d’avoir échangé[1], contre des faveurs, des votes avec la ‘ndrine Gentile qui sévit dans la ville Amantea (petite ville de la côte tyrrhénienne dans la province de Cosenza). Les enquêteurs ont découvert que le conseiller régional avait dissimulé la propriété d’un navire à moteur afin d’éviter la saisie de ce bien par la police. Ce bateau était de surcroît utilisé par le chef mafieux pour ses déplacements dans les îles éoliennes.Dans le cadre de cette arrestation, la police a mis sous séquestre le port d’Amantea, des actions en bourse d’une société d’économie mixte qui opère dans le secteur de la récolte des déchets. 

[1]L’échange électorale politico-mafieux est un délit en droit italien.

« Zoomafia » au quotidien

Gallico mafiaCette semaine, dans la province de Reggio en Calabre, les policiers ont stoppé une course de chevaux clandestine. Sur la voie rapide entre Gallico et Gambarie, des jockeys pilotaient deux carrioles sous le regard de la foule pressée au bord de la route. Avec beaucoup de difficulté, la patrouille de police a fait ralentir les chevaux qui étaient lancés au trot. Les policiers ont par ailleurs arrêté une voiture de marque allemande et de type série « 3 » qui devançait les concurrents comme une voiture de tête pendant une course cycliste… Les deux chevaux n’avaient aucun marquage et les jockeys ne possédaient aucun document d’identité.

La police a saisi les chevaux et a verbalisé les jockeys pour des infractions au code la route. Avec un peu de chance, l’enquête arrivera à démontrer l’implication des ‘ndrines locales. Les familles mafieuses sont impliquées dans les activités visant à exploiter les espèces vivantes. On appelle ces délits : la zoomafia. Au delà du folklore, ces activités permettent aux clans de faire vivre des populations au chômage, d’entretenir le consensus social envers la mafia et de contrôler le territoire. Les courses de cheveaux font partie des activité dénomées « Zoomafia ». Ces activité criminelles sont inclu dans le concept des « ecomafias » (cf. L’Italie, ses déchets, son béton et ses mafias)

La ‘Ndrangheta comme Al Quaida?

D’après les services de renseignements italiens, nouvellement baptisés AISE et AISI (cf.Les services de renseignement italien et les mafias), la ‘Ndrangheta serait la mafia la plus dangereuse pour trois raisons. Elle est une mafia souple, riche et capable de s’attaquer à l’Etat italien par le bais d’actes subversifs.
Cette analyse est à mettre en relation avec un autre rapport ; celui de la Commission parlementaire antimafia (Cpa). Publié le 20 février dernier, ce rapport affirme que la mafia calabraise possède un structure tentaculaire privée de direction stratégique mais caractérisée par “une sorte d’intelligence organique qui est comparable à Al Quaida”. On comprendra que les organisations transnationales les plus adaptées à la mondialisation sont celles dont la structure se révèle souple. La mafia calabraise est une mafia dotée d’une grande puissance financière qui lui permet de s’insérer dans l’économie, en particulier dans les domaine de la construction des routes, de la santé, de l’agro alimentaire, du tourisme et des activités économiques dans la plaine de Gioa Tauro.
Ces deux conditions et une tradition historique subversive, la rendent capable d’actes de terrorisme contre l’Etat. Rappelons qu’en 2005, la Direction d’enquête antimafia (DIA) avait déjoué un projet d’attentat contre un magistrat et que la ‘Ndrangheta a assassiné le vice-président de la région calabre (voir n°1).
Enfin, il convient de mettre en parallèle ces données avec la dernière arrestation à Bari dans les Pouilles. Les magistrats de la direction provinciale antimafia ont arrêté des mafieux de la Sacra Corona Unita. Les écoutes téléphoniques faisaient état de jeunes prêts à tout pour sauvegarder le clan ; “ prêt à faire le kamikase ”!


Le quotidien de l’Etat contre la ‘Ndrangheta

bunker mafia rizzoliEn Italie, les forces de l’ordre ne ménagent pas leur peine pour réduire le poids de la mafia calabraise. Le 28 février 2008, à Benestare en Calabre, les carabiniers ont découvert un bunker destiné à protéger les mafieux « en cavale ». La photo à gauche représente l’entrée dun autre bunker.
Les militaires sont à la recherche d’un « super latitante », Antonio Pelle. Surnommé « Gambizza », ce chef de la ‘Ndrangheta de 72 ans est recherché depuis 2000 pour effectuer une peine de 26 ans de prison. Le refuge en question est le troisième que l’on retrouve en quatre jours. D’après les sources officielles, l’étau se resserre autour du vieux capo-bastone. La pièce de 12 mètres carrés est accessible à partir d’une trappe. Celle-ci se situe à l’intérieur d’un four ! Il reste à déterminer si le bunker a été utilisé récemment.
Le 3 mars, à la demande de la direction provinciale antimafia (DDA), le parquet de Reggio a mis sous séquestre des biens appartenant aux ‘ndrines Pelle-Vottari et Nirta-Strangio de San Luca. Ces deux cartels de familles mafieuses calabraises se livrent à une faida qui a provoqué le massacre de Duisburg le 15 août 2007 (De San Luca à Duisburg, la faida et la ‘Ndrangheta). Tant en Calabre qu’en Lombardie, les magistrats ont mis sous séquestre des activités commerciales, des immeubles, des terrains, des polices d’assurance et des voitures de luxe. L’ensemble de ses biens mafieux avoisinerait 150 millions d’euros (cf. La confiscation : le reportage).
La saisie est l’instrument juridique qui permet de priver provisoirement les mafieux de leurs biens mal acquis. Cependant, pour faire réellement reculer l’impunité, il faut un jugment définitif de confiscation. En 2006, l’une des dernières propositions du gouvernement de centre-droit dirigé par Silvio Berlusconi fut celle de limiter cet outil de lutte contre le pouvoir des mafias.

L’arrestation de Pasquale Condello ; le dernier grand parrain calabrais ?

mafia 'ndranghetaLe 18 février 2008, dans la périphérie de Reggio en Calabre, les carabiniers spécialisés du Ros ont arrêté le capo bastone Pasquale Condello, 57 ans, l’un des plus importants chefs de la ‘Ndrangheta, la puissante mafia calabraise. D’après le ministre de l’Intérieur, Giuliano Amato, la dimension criminelle de Pasquale Condello équivaudrait à celle de Bernardo Provenzano, le dernier chef corléonais de Cosa nostra sicilienne.

Dès les années soixante dix, au cours de la première guerre de ‘Ndrangheta, le jeune chef de ndrine avait fait alliance avec la puissante famille De Stefano. Au cours de la seconde guerre de 1985 à 1991, Pasquale Condello s’opposa au cartel De Stefano-Tegano-Libri pour rejoindre le cartel Imerti-Rosmini-Fontana. Cette guerre fit plus de 1 000 morts sans qu’un camp ne remporte une victoire claire.

En 1989, Pasquale Condello augmente son prestige mafieux en commanditant un des meurtres les plus importants de la ‘Ndrangheta, un « cadavre exquis » selon l’expression consacrée en Italie. Le 27 août 1989, l’ex Président des chemins de fer italiens, Ludovico Ligato, est assassiné parce qu’il était proche du clan adverse. Originaire de Reggio, il avait fait une carrière politique à Rome est était devenu Président d’une des plus importante administration d’Etat. Après une période de disgrâce, Ligato était revenu à Reggio pour créer une myriade de sociétés destinées à récupérer les fonds publics destinés à la Calabre. Pasquale Condello ne pouvait pas laisser le groupe De Stefano rafler la mise. Depuis le début des années 90, Pasquale Condello était « latitante » c’est à dire en cavale. La justice italienne le recherchait pour accomplir la peine de 4 condamnations à vie et vingt deux ans de prison. Cette clandestinité ne l’a pas empêché pas de participer à des sommets mafieux. Pasquale Condello bénéficiait d’un vaste réseau de protection. Le patrimoine de ce mammasantissima est estimé à 50 millions d’euros. Il est constitué, entre autres, d’immeubles et d’activités commerciales dans toute l’Italie. Au-delà des complicités familiales surveillées pas la police, les personnes, en particulier celles chargées de gérer son patrimoine, sont les mieux placées pour avoir assuré cette longue impunité.

Comme l’a souligné le procureur Franco Mollace, cette arrestation est le fruit d’une longue enquête. La collaboration d’un proche de Pasquale Condello s’est révélé indispensable. En 2004, déjà, la police italienne avait arrêté les « super boss » Orazio de Stefano et Giuseppe Morabito. Avec celles de Pasquello Condello, de Bernardo Provenzano et de Sandro Lo Picolo, les forces de l’ordre font reculer l’impunité en Italie. L’impunité est une des principales forces des mafias.

Un réseau politico-mafieux démantelé en Italie

région de l'Ombrie

Le 12 février 2008, sur ordre du parquet de Perugia, dans le centre de l’Italie, les carabiniers ont arrêté plus de cinquante personnes dans le cadre d’une enquête mêlant des intérêts politiques, économiques et mafieux. L’ensemble de ses personnes formait un réseau criminel qui s’adonnait à différentes fraudes dans le domaine du génie civil, à la construction, au trafic de drogue et à l’extorsion.
Le processus était le suivant :
Les clans camorristes des Casalesi et les ‘ndrines calabraises Morabito-Palamara-Bruzzaniti pratiquaient le racket sur le territoire. L’argent acquis était réinvesti soit dans le trafic de cocaïne, soit dans le bâtiment et les travaux publics. En ce qui concerne le trafic de stupéfiants, les clans approvisionnaient la région Umbrie en cocaïne. La commercialisation était, sur place, assurée par les gangs d’Albanais et des malfrats locaux.
Les ‘ndrines avaient jeté leur dévolu sur les appels d’offres concernant des infrastructures touristiques et celle de la centrale hydroélectrique de Vallata dello Stilaro qui se trouve sur la commune de Bivongi. Ce bourg est situé dans les montagnes de l’Aspromonte dans la province de Reggio en Calabre.
Pour obtenir ces marchés publics, les mafieux calabrais bénéficiaient de complicités de la part de fonctionnaires de  l’administration communale et régionale. Il s’agissait pour les familles mafieuses calabraises de connaître à l’avance les travaux et les financements prévus ainsi que les prix affichés par les sociétés concurrentes. Avec ses informations, les mafieux proposaient des tarifs inférieurs et gagnaient les appels d’offres. Pour tenir ses coûts, les sociétés mafieuses utilisaient des matériaux de mauvaise qualité ainsi que de la main d’œuvre essentiellement composée de clandestins, des « extra communautaires » comme le disent les Italiens. Enfin, les enquêteurs ont relevé la violation systématique des normes de sécurité sur les chantiers. Accessoirement, ce réseau avait aussi mis en place un vol de voitures organisé à des fins de recyclage de chèques falsifiés.
Les forces de l’ordre ont appelé cette opération « Naos ». Elles aiment donner des noms originaux à leurs actions. En l’occurrence, on ne sait pas si cela renvoie à l’étoile Naos ou s’il s’agit d’une référence « au saint des saints », la pièce la plus importante dans les temples de la Grèce antique…
A regarder les personnalités arrêtées, nous pencherons pour la deuxième hypothèse :
– le responsable du tourisme de la région Calabre
– le maire de Staiti
– le maire adjoint de Brancaleone,
– un agent administratif de Brancaleone
– de nombreux professionnels des milieux économiques et financiers.
Ces personnes demeurent présumées « innocentes ». Il faut attendre les trois instances de la procédure judiciaire pour qu’une condamnation soit définitivement prononcée. Rendez-vous dans dix ans… le temps d’une dizaine d’élections.
En l’espèce, le responsable du tourisme de la région Calabre, Pasquale Tripodi, appartient à l’Udeur, un parti du centre. Son leader, Clemente Mastella, était, depuis plus d’un an, allié au gouvernement national de centre gauche dirigé par Romano Prodi (cf. La droite européenne félicite la gauche italienne pour son bilan économique). Cependant, impliqué ainsi que sa femme pour des délits de corruption et de clientélisme, Clemente Mastella a fait chuter le gouvernement Prodi en passant au centre droit. En conséquence quoi, le Président de la région Calabre, Agazio Lorieo qui anime une coalition de centre gauche, venait de révoquer « pour incompatibilité politique » le responsable du tourisme.
Conclusion sur les mafias et la légalité en Italie :
1. En Italie, les relations politico-mafieuses, même locales, ont des répercussions sur la vie politique nationale c(. L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux
2. La mafia n’existe que parce qu’elle dispose de complicité au sein de la fonction publique, des professions libérales et du monde de la politique (cf. « Bourgeoisie mafieuse » : définition)
3. La mafia est un acteur économique en phase avec le libéralisme. Elle utilise la main-d’œuvre bon marchée et elle a recours à des méthodes qui ressemblent à de l’esclavage.
4. La mafia est présente dans toute l’Italie comme en témoigne cet exemple. Le procureur national antimafia, Pietro Grasso parle de « tentative de colonisation » de la région Umbrie.
5. N’en déplaisent à certains, les Italiens du Nord se révèlent, parfois, aussi malhonnêtes que ceux qu’ils considèrent comme « des culs terreux ».
6. La mafia italienne utilise la criminalité locale, le grand banditisme et les criminels étrangers comme des associés ou des sous-traitants.
7. En Italie, les étrangers ne sont pas tous des criminels. La plupart d’entre eux travaillent ou se font exploiter comme dans le cas présent.

De San Luca à Duisburg, la faida et la ‘Ndrangheta

mafia Le 15 août 2007, jour de l’Assomption, six ressortissants italiens originaires de Calabre ont été « exécutés » lors d’un guet-apens qui leur a été tendu un peu avant 2 h 30 du matin, sur le parking de la pizzeria « Da Bruno » à Duisburg, en Allemagne. Les six victimes, âgées de 16 à 39 ans, ont été ont été criblées de balles dans leurs véhicules. Elles n’étaient pas armées et chacune d’entre-elle a reçu un coup de grâce en pleine tête. Quelque 71 douilles, tirées par deux pistolets mitrailleurs de type Uzi, ont été retrouvées sur place par les enquêteurs. Les impacts de balles très centrés témoignent du professionnalisme des tueurs. Il s’agit des six derniers morts occasionnés par la faida de San Luca.

La faida de San Luca

Une faida est une succession de crimes basés sur la vengeance (la vendetta) auxquels se livrent, sur le long terme, deux familles rivales. Une faida débute par un affront (uno sgarro) fait à une personne. La famille de celle-ci se sent alors contrainte de laver l’offense par le sang versé. Les meurtres s’enchaînent ensuite. En Calabre, ce sont les femmes, gardiennes de la mémoire des morts, qui perpétuent la faida. Ce sont celles de la famille offensée qui poussent les hommes à tuer.

La faida ne concerne pas que les familles mafieuses. Cependant, à San Luca, celle-ci se double d’un affrontement entre familles mafieuses. D’un côté, la ‘ndrina2 des Pelle-Romeo-Vottari, de l’autre celle des Nirta-Strangio. La famille Strangio est divisée en trois branches. L’une est alliée au clan Nirta-Strangio ; la deuxième est proche des familles Pelle-Romeo-Vottari ; la troisième branche est totalement hors de la mafia. Les deux camps disposent de chacun d’une centaine d’hommes, de nombreuses parentés, ainsi que de différents complices. Environ 140 personnes sont en mesure faire usage d’armes à feu.
En 1991, au cours du carnaval de la Saint Valentin, un banal jet d’œuf tourne au sgarro, le fameux « affront ». En représaille, la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari assassine Francesco Strangio et Domenico Nirta. Un arrangement honorable pour tous est trouvé. Antonio Vottari a tué parce qu’il avait été provoqué et sa vie sera sauve à condition de quitter San Luca à jamais. Antonio Vottari pensait s’affranchir de cette interdiction de territoire. Il est assassiné le 25 juillet 1992. Un membre de chaque famille de la ‘ndrina Nirta-Stangio pu lui mettre une balle dans la tête : douze d’après l’autopsie.
Depuis 1991, la faida de San Luca a fait vingt morts3. Le jour de Noël 2006, un commando des Pelle-Romeo-Vottari tente d’assassiner Giovanni Luca Nirta, le chef de la ‘ndrina Nirta-Strangio. Maria Strangio 33 ans, l’épouse du chef décède. Ce dernier, son frère et son fils de cinq ans, sont tous blessés par balle. D’après les enquêteurs, en représailles du meurtre de sa femme, le « boss » Giovanni Luca Nirta a commandité le meurtre de six personnes :

  • Marco Marmo, affilié à la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari, résident en Calabre est soupçonné d’être un des tueurs de Maria Strangio. Le 11 août, la police avait prévenu Marco Marmo que sa vie était en danger et qu’il ne devait pas quitter son domicile en Calabre. Il préféra partir en Allemagne afin de s’armer.
  • Sebastiano Strangio, le cuisinier de la pizzeria Da Bruno était une affilié de la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari. Le restaurant a été utlisé pour une opération de blanchiment. Il est aussi une base logistique pour les armes de la ‘ndrina. Le 17 août 2007, les enquêteurs y ont retrouvé un fusil d’assaut M16 acheté récemment à un trafiquant serbe.
  • Francesco Giorgi, âgé de 16 ans, est une victime « transversale ». Il s’agit du terme officiel pour définir les parents de mafieux qui sont assassinés par les rivaux.Un de ses parents éloignés, Antonio Giorgi était lié aux Pelle-Romeo-Vottari et a été assassiné le 3 août 2007. Il fallait déjà y voir unavertissement du camps adverse
  • Tommaso Venturi, âgé 18 ans avait dans poche une image pieuse brûlée. Cela signifie qu’il venait d’être affilié à la ‘ndrine selon la cérémonie consacrée.
  • Francesco et Marco Pergola, n’avaient pas de casier judiciaire mais travaillaient au restaurant Da Bruno. Les deux frères Pergola résidaient depuis quatre ans en Allemagne. Leur père est un policier calabrais en retraite. En raison de cette filiation « infâme », il est peu probable qu’ils aient été des ‘ndranghetistes. Les enquêteurs ne savent pas encore s’ils sont impliqués dans des affaires criminelles.

Certains de ces hommes sont peut-être morts parce qu’ils travaillaient au restaurant Da Bruno. Ces emplois sont parfois une « faveur mafieuse ». La faida conduit à tuer ceux sont qui sont en rapport avec les ennemis. Les exécutions sont davantage une vendetta dans la faida de San Luca plutôt qu’un règlement de compte mafieux stricto sensu. En revanche, tout a été soigneusement étudié pour que les rivaux de la ‘ndrina Pelle-Romeo-Vottari comprennent le message.
La date du 15 août, celle de la fête de la Vierge Marie, n’a pas été choisie au hasard. Il s’agit d’une réponse à l’assassinat de Maria Strangio le jour de Noël 2006. Le lieu, hors de la Calabre, signifie : « où que vous soyez, vous n’êtes pas en sécurité si vous attentez à notre famille ». Le nombre de victimes doit amener l’autre clan à capituler. Les victimes « transversales » prouvent que toutes les personnes originaires de San Luca sont concernées. A ce titre, il a fallu que quelqu’un renseigne les tueurs. Dans une faida, il y a toujours un traître. Les meurtres à l’extérieur de la Calabre ne sont pas une nouveauté. En revanche, les tueries de cette ampleur sont, quoi que l’on puisse croire, très rares dans le monde mafieux5. Le « massacre de l’Assomption » entre peut-être dans l’histoire du crime comme est déjà présent celui de la Saint Valentin6. Cette faida nous renseigne donc sur la ‘Ndrangheta.

De la faida à la ‘Ndrangheta

mafiaLa mafia calabraise est composée de familles biologiques. Le mariage permet d’agrandir la famille. Les enfants nés du mariage établissent le lien de sang indispensable. Les ‘ndrines ont donc une cohésion plus forte que les autres mafias italiennes et sont relativement protégées du phénomène des repentis. Il est bien plus difficile de trahir une personne de sa famille. La ‘Ndrangheta est aussi un cas d’école de mafia transnationale. Une forte communauté calabraise est présente en Europe du Nord, en Australie et au Canada. Le SISDE, le service de renseignement civil italien, affirme que les ndrines à l’étranger sont pleinement autonomes par rapport à leur maison mère de Calabre. Cela constitue un avantage mais aussi un inconvénient. Cela peut entraîner des conflits entre ‘ndrines présentes sur un même territoire, comme celui de Duisbourg. L’Allemagne est une « succursale » importante de la ‘Ndrangheta. Les Italiens y constituent la deuxième communauté étrangère derrière les Turcs avec 540 000 ressortissants, dont 3 500 à Duisbourg. Des milliers de mafieux et leurs complices assurent l’approvisionnement en cocaïne de toute l’Europe. La mafia calabraise a des contacts directs avec les cartels colombiens. Ils blanchissent d’énormes capitaux. Les services de renseignement allemand (BND) ont découvert que des mafieux calabrais investissaient dans des sociétés cotées en bourse à Francfort.
D’après la Direction des enquêtes antimafias italienne (DIA), la ‘Ndrangheta serait composée de 155 ‘ndrines et de 7 000 affiliés qui générerait 3,4 % du PIB italien. Le trafic de drogue rapporterait à lui seul 22 milliards d’euros par an. En 2003, la Commission parlementaire antimafia italienne affirmait que la ‘Ndrangheta était la première mafia d’Italie. Ce fut une surprise pour le grand public. Qui pouvait penser que Cosa nostra sicilienne serait détrônée au hit parade du crime organisé ?
En réalité, la ‘Ndrangheta constitue un équilibre entre la loyauté, le contrôle du territoire et la transnationalité. De toutes les mafias italiennes, elle est la mieux armée pour faire face à la mondialisation.
Le règlement de compte de l’Assomption a eu lieu au sein de la diaspora puisqu’il s’est produit devant le restaurant italien. Cependant, l’Allemagne n’est pas la Calabre : l’omerta la loi du silence – n’y fonctionne pas. Deux personnes ont apporté leur témoignage et l’enquête progresse à grands pas. Les policiers ont déjà mis un nom sur le portrait robot établi et sur les membres du commando.
La famille Strangio-Nirta risque effectivement de le payer très cher. Nous ne sommes plus au temps de la Guerre froide où les mafias étaient des alliés objectifs du Monde libre dans la lutte contre le communisme
En quelques mois, les enquêteurs italiens ont trouvé les soldats de la ‘Ndrangheta qui avaient tué le Vice-président de la région Calabre en 20058. Ils ont
arrêté le chef mafieux et le donneur d’ordre. Seul un doute subsiste sur une complicité à un niveau supérieur. En effet, la fin de l’impunité ne signifie pas la fin des mafias italiennes, en particulier celle de la ‘Ndrangheta.


1 San Luca est une petite ville de 4 800 habitants de l’Aspromonte. Elle fait office de capitale de la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta. Il y a encore dix ans, tous les chefs de ‘ndrina, s’y réunissaient le jour de la fête de la Madone des Montagnes. Cette pratique a été suspendue en raison des succès remportés par les forces de l’ordre.

2 Il faudrait appeler ‘ndrina – ou ‘ndrine au pluriel  en italien- la cellule de base de la ‘Ndrangheta et garder le terme de clan pour la Camorra napolitaine.

3 Après une accalmie, la faida reprit en 2006 et a fait 11 morts en huit mois.

4 Le jeune Francesco était aussi un parent de Domenico Giorgi. Ce dernier, né en 1963, émigra en Allemagne dans les années quatre-vingt. A Duisburg, il fut équarrisseur puis serveur dans une boite de nuit. En 1989, il est employé par Michele Mammoliti, le propriétaire du restaurant Da Bruno de l’époque. Au moisd’août 1989, Domenico Giorgi gagnait, 1 200 marks par mois, mais il acheta le restaurant 250 000 euros comptant à son employeur ! En 1997, il le revendit aux frères Strangio, Giovanni et Sebastiano. Le cuisinier assassiné le 15 août dernier a donc servi de prête-nom dans une affaire de blanchiment pour le compte des Pelle-Romeo-Vottari (cf. Rapport des carabiniers sur le restaurant Da Bruno, 2001).

5 Les familles mafieuses font généralement exécuter une seule personne à la fois et le corps disparait afin de ne pas attirer l’attention.

6 Le 14 février 1929, Al Capone envoie des faux policiers tuer de sang froid sept hommes de main de Georges Bugs Moran, chef d’une bande rivale d’origine irlandaise.

7 Les mafias italiennes ne bénéficient plus de l’impunité depuis le 31 janvier 1992, date à laquelle la Cour de Cassation a confirmé pour la première fois la culpabilité de plus de trois cents mafieux.

8 Cf. Note d’actualité N°19, novembre 2005, www.cf2r.org

L’assassinat du vice-président de la régio calabraise : un meurtre politico-mafieux

Le dimanche 16 octobre 2005, à 17 h 22, un véhicule s’arrête devant un bâtiment public à Locri, en Calabre (sud de l’Italie). Un homme, à demi masqué, un pistolet à la main, parcourt quelques mètres avant de tirer cinq coups à bout portant sur Francesco Fortugno, 54 ans, vice-président de la région de Calabre. Puis, le tueur retourne sans précipitation vers la voiture, conduite par un complice.

Tous les éléments, de la méthode à la cible, en passant par le contexte, font de cet homicide un crime de type mafieux et un acte de violence programmee. En effet, face à un tel professionnalisme, un règlement de compte d’ordre privé est impossible. Par ailleurs, au cours de cette exécution, rien n’a été laissé au hasard. Le lieu, la date, la cible et a fortiori le mobile sont autant de messages de la part de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, en direction du pouvoir politique.

Le lieu et la date

La région de la Locride, dans le sud de la Calabre, est une des zones les plus mafieuses d’Italie. Au cours de ces 13 derniers mois, 22 homicides y ont été commis dont 20 n’ont toujours pas été élucidés. A Locri, le contrôle du territoire est exercé par les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises), expertes dans la gestion des rapports de pouvoir et de politique. Un tel meurtre nécessite donc une « autorisation » de leur part.

L’endroit précis du meurtre constitue un premier message : il s’agit du Palais Nieddu, un très beau bâtiment situé en plein centre ville, où se tiennent de nombreux séminaires. Si les tueurs avaient recherché la discrétion, ils auraient accompli leur forfait sur le trajet de la cible, c’est-à-dire sur la route qui relie le domicile de Brancaleone à Locri, entre la montagne et la mer Ionienne.

En outre, les tueurs ont opéré un dimanche, en plein jour, à un moment où ils ne pouvaient pas profiter des habitudes professionnelles de la cible. Ce jour-là, la victime est restée une heure à discuter avec des amis après avoir voté. Il est donc fort probable qu’elle ait été suivie toute la journée et qu’une personne présente à l’intérieur du bâtiment ait donné le signal. Enfin, la date est capitale puisqu’il s’agissait des primaires au sein de la coalition de gauche nommée « l’Unione », en vue des élections législatives du printemps 2006. En ce dimanche d’élection, en plein centre ville et devant témoins, cet acte criminel est avant tout la démonstration que cette association criminelle peut frapper n’importe où, n’importe quand et surtout n’importe qui ; en particulier un homme politique.

La cible et le mobile

Fortugno qui a un lien de parenté avec la famille Laganà – une dynastie de démocrates-chrétiens députée en Calabre – est à l’origine médecin chef des hôpitaux. Secrétaire d’un syndicat de médecins (CISL), il est devenu référent pour les questions de santé du parti de gauche, la « Marguerite », dans sa région, la Calabre. Au printemps 2005, il a été élu au sein de l’assemblée régionale, puis au dernier moment de la précédente législature, il a remplacé au poste de vice-président un collègue élu député.

Dans un premier temps, le procureur s’est intéressé aux activités que Fortugno exerçait au sein de l’hôpital de Locri, où sont encore employés sa femme et son frère. En 2004, des fournisseurs et des responsables hospitaliers ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur une escroquerie concernant les fournitures. Un climat de violence s’était alors installé (agressions, etc.).

Dans un second temps, les enquêteurs suivent la piste de l’engagement politique de Fortugno vis-à-vis du monde de la santé. A la mi-octobre, le président de la Calabre avait été menacé pour avoir annoncé, parmi d’autres réformes, le renouvellement des dirigeants d’entreprises publiques de santé. Cette décision aurait entraîné la modification du déroulement et de l’attribution des adjudications publiques. Celles-ci sont en effet régies par des amitiés et des liens nés de nombreuses années d’ententes économico-politiques.

Aussitôt élu, Francesco Fortugno a été donc associé à la nomination des dirigeants des entreprises de santé, en majorité sous tutelle de la région. A l’occasion de cet événement, des sources proches de l’exécutif régional confient qu’il y eut de « fortes pressions ». Les ‘ndrines (familles mafieuses calabraises) ont fait pression pour que les décisions ne soient pas prises avant le printemps prochain et ont fait savoir que lors des élections régionales de 2006, elles voteraient massivement pour la droite.

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