Archive pour la catégorie ‘‘Ndrangheta, mafia calabraise’
A la kalachnikov!
Mercredi 30 avril 2008, à l’aube et comme tous les matins, Gino Benincasa, 65 ans, sort de sa villa près de Lamezia Terme dans la province de Catanzaro. Il est au volant de son fourgon réfrigéré et vient d’attacher sa ceinture quand deux sicaires surgissent et tirent 15 coups de Kalachnikov. Manifestement, les tueurs connaissaient les habitudes de leur proie. Gino Benincasa, important entrepreneur dans le secteur de la distribution de poisson est décédé sur le coup. Ses accointances avec les ‘ndrines, les familles mafieuses calabraises, lui ont été fatales.
La police antimafia considérait la victime comme proche d’une famille mafieuse. Dans les années quatre vingt dix, Gino Benincasa était conseiller municipal pour le Parti Socialiste Italien à la mairie de Lamezia Terme. En 1992 et 2003, le ministère de l’Intérieur avait dissous le conseil municipal pour infiltration mafieuse. A deux reprises le nom de l’entrepreneur était cité pour ses liens avec la mafia. Gino Benincasa était soumis au contrôle judiciaire. En 2003, il avait été arrêté avec son fils. Il était accusé d’extorsion. Acquitté en première instance, il attendait la décision de la Cour d’appel.
Le business de la grande distribution des produits agro-alimentaires a augmenté de 3,6% en Calabre ; un chiffre supérieur aux autres régions du Sud de l’Italie. Les familles mafieuses se disputent l’approvisionnement des marchés et des grandes surfaces. Les ‘ndrines tuent souvent l’entrepreuneur d’une famille rivale pour freiner son expansion.
Il s’agit du troisième entrepreneur calabrais assassiné en quelque mois (art. 47, art. 35, art. 26).
Hypothèses du policier antimafia
A partir de l’attentat commis sur le chef d’entreprise dimanche dernier (art. 47), jouons au jeu de la devinette de ‘Ndrangheta à partir des concepts de territoire, de sang, de mariage, d’argent et d’explosif. Informations incontournables : l’entrepreneur Antonio Princi possède de nombreux magasins dans la ville de Gioia Tauro. Il est donc économiquement lié aux ‘ndrines Piromalli-Molé qui opèrent dans cette ville.
Première hypothèse :
Ces derniers temps, la victime avait ouvert des magasins à Rizziconi dans l’arrière pays de Gioia Tauro. Ses nouvelles activités ont pu faire de l’ombre à la puissante ‘ndrine Crea qui opère à Rizziconi. Dans ce cas, le lieu de l’attentat est important. Soit la ‘ndrine Crea avait l’autorisation des familles de Gioia Tauro pour poser la bombe sur leur territoire, ou bien elle ne l’avait pas. Dans le deuxième cas de figure, c’est la guerre entre les familles de Gioia Tauro et celle de Rizziconi.
Deuxième hypothèse :
Au sein du cartel Piromelli-Molé de Gioia Tauro, ce serait déjà la guerre. Ainsi, expliquerait-on le meurtre de Rocco Molé le 1er février dernier. Rocco Molé, 42 ans et chef de la ‘ndrine Molé, était sur le point d’être condamné à la prison à vie. Les Piromalli auraient fait assassiner Rocco Molé. Les Molé auraient mis hors circuit l’entrepreneur qui est peut-être davantage lié aux Piromalli.
Troisième hypothèses :
L’entrepreneur est marié à une femme dont le père fait partie de la ‘ndrine Mammoliti de Castallace, une autre commune de l’arrière pays de Gioia Tauro. Dans la ‘Ndranghetà, le mariage est un lien indélébile.
Dans le cadre de la conception d’un enfant, le sang de celui-ci représente le mélange du sang des deux parents. Les familles mafieuses de ces derniers n’en font plus qu’une. La ‘ndrine Mammoliti a peut-être fait assassiner Rocco Molé en février. Les Piromalii-Molé se seraient vengés sur l’entrepreneur.
On peut faire d’autres hypothèses, mais cela serait oublier qu’en Calabre, plus des trois quarts de la population est honnête et subit la ‘Ndranghetà.
Dimanche, la voiture du commandant des Carabiniers de la ville de Stilo a été incendiée.
Incendie mafieux en Calabre?
Le propiétaire, en place depuis 50 ans, affirme qu’il n’a reçu aucune demande de pizzo, l’impôt mafieux. Le chef d’entrepise pense qu’on a voulu détruire son entreprise. Il demande « de l’aide au nouveau président du Conseil », dans la la Repubblica. Problème, Silvio Berlusconi n’a pas prononcé une seule fois le mot « mafia » pendant la campagne. En revanche, il a proposé la construction du pont dans le détroit de Messine (art. 25).
La boucle est bouclée.
Héraclès 2
Le 28 avril 2008 au matin, la police de Crotone a arrêté 55 personnes dans le cadre de l’opération antimafia dénommée « Eracles 2 ». 19 d’entre elles seraient des compare, des mafieux affiliés à une ‘ndrine, la cellule de base de la mafia calabraise.
D’un côté, les enquêteurs ont arrêté des membres du cartel Vrenna-Bonaventura-Corigliano qui opère à Crotone. Ils auraient fait la lumière sur deux meurtres survenus en 2000. Les deux meurtres en question étaient des règlements de compte au sein même de ce cartel.
De l’autre côté, les policiers ont arrêté des affiliés aux ‘ndrines Russelli et Megna de Papanice (art.23) qui seraient liés à la ‘ndrine Grande Aracri. Originaire de Cutro, la famille Grande Aracri est alliée à la ‘ndrine Nicosia d’Isola Capo Rizzuto afin de s’opposer à la très puissante famille Arena (art.27). Pour
comprendre la dynamique territoriale, voir la carte ci-dessous.
Cette opération est le deuxième volet de l’opération « Eracles » du début avril (art. 32) au cours de laquelle 39 personnes avaient été arrêtées. Les policiers sont en mesure de démontrer de nombreuses extorsions dirigées contre des entrepreneurs et des commerçants. La police a aussi trouvé des dépôts d’armes (explosifs, pistolets et armes automatiques).
Il ne manque plus qu’une arrestation d’un homme politique qui doit sa carrière à ces familles…
La chapelle de la ‘ndrine?
Le Tribunal de Catanzaro a ordonné la saisie de biens mobiliers et immobiliers à l’encontre de Carmelo Novella, 58 ans. Résidant en Lombardie, celui-ci serait le chef de la ‘ndrine Novella. Cette famille mafieuse est implantée à Guardavalle sur la côte ionienne. Son influence s’exercerait dans le sud de la province de Catanzaro à gauche sur la carte, en particulier dans les communes Monasterace, Riace, Stilo, San Caterina dello Jonio et Badolato mais aussi dans les régions de Rome et de Milan. Depuis 2006, Carmelo Novella est soumis au contrôle judiciaire avec l’obligation de séjourner dans sa commune milanaise. Les magistrats calabrais et milanais ont saisi des maisons, des terrains, des magasins, des comptes bancaires et des polices d’assurance. La valeur de ces biens est estimée à 5 millions d’euros.
D’après le cadastre, un des terrains confisqués est une oliveraie. Cependant, les enquêteurs ont découvert une petite église byzantine restaurée. Cette chapelle de 50 mètres carrés a un autel, un crucifix, des tableaux représentants des figures sacrées et dispose de 50 places assises. Un panneau à l’extérieur indique la chapelle de Saint
Agazio.
Premièrement, la mafia calabraise est présente dans toute l’Italie, en particulier à Milan.
Deuxièmement, les ‘ndrines contrôlent leur territoire puisque l’Etat n’avait pas connaissance de cette petite église.
Troisièmement, cette chapelle « privée » est certainement destinée à renforcer le pouvoir de la famille mafieuse.
Voiture piégée en Calabre
Samedi 26 avril 2008, à Gioia Tauro, dans la province de Reggio en Calabre, Antonio Princi s’approche de sa berline allemande et c’est l’explosion comme on peut le voir sur la photo à gauche. La victime est sauve mais elle a perdu un bras et une jambe. Antonio Princi est un important commerçant dans la plaine de Gioia Tauro. Cette ville abrite le plus grand port-conteneurs d’Europe (art. 42).
Antonio Princi a un casier judiciaire et il est marié à une femme dont la famille serait liée à la ‘ndrine Mammoliti à Castellace. Castellace est une ville de l’arrière-pays de Gioia Tauro. Les agents de la Direction provinciale antimafia soupçonnait l’entrepreneur de blanchir les fonds des familles mafieuses. La police était sur le point de l’arrêter.
Conclusion : mieux vaut tomber sur l’Etat plutôt que sur la mafia!
Un « mouchard » au tribunal de Reggio en Calabre
Mardi 22 avril 2008, des ouvriers restaurent une salle du tribunal de Reggio en Calabre dont on peut voir la photo à gauchet. En réalité, ce sont des carabiniers du ROS spécialisés dans la lutte contre le crime organisé. Là, ils découvrent un « micro espion ». L’instrument d’écoute est rudimentaire. Sa portée n’excède pas 20 mètres. Cependant, le « mouchard » était placé dans un endroit stratégique ; dans la salle où le procureur antimafia Nicola Gratteri procéde aux interrogatoires et aux réunions avec les forces de l’ordre.
Nicola Gratteri est un magistrat spécialisé dans la lutte contre la ‘Ndrangheta. Il est l’auteur, avec Antonio Nicaso, d’un livre, Fratelli di sangue (Frères de sang) qui dévoile les arcanes de la mafia calabraise. En ce moment, Nicola Gratteri enquête sur le massacre de Duisburg (art. 6) et sur le sénateur Sergio De Gregorio. Celui-ci est mis en examen pour association mafieuse à des fins de blanchiment. Leader du mouvement des Italiens résidants à l’étranger, ancien président de la commission de la défense, aujourd’hui, il est membre de la coalition de centre-droit de Silvio Berlusconi.
Comme le « mouchard » fonctionne à l’aide une batterie qu’il faut recharger régulièrement, les policiers et les magistrats recherchent, maintenant, une « taupe » au sein du tribunal.
Le port-conteneur de la ‘Ndrangheta
Le 22 avril 2008, le gouvernement italien a dissous le conseil municipal de Gioia Tauro. Le préfet de Reggio qui enquête depuis quatre mois a démontré que la ‘Ndrangheta exercait son influence dans la gestion de cette collectivité. La commune était dirigée par une coalition de centre-droit. Le maire appartient à l’Udc, un parti du centre peu regardant sur le choix de ces candidats. Par exemple, l’Udc a fait élire Salvatore Cuffaro au Sénat alors qu’il était condamné pour avoir favorisé un mafieux. La Direction provinciale antimafia (DDA) de Reggio enquêtent sur le maire de Gioia Tauro et son adjoint ainsi que sur les maires des communes limitrophes de Rosarno et de San Fernandino.
Gioia Tauro, sur la côte tyrrhénienne dans la province de Reggio en Calabre, abrite le plus grand port-conteneur d’Europe (à gauche sur la photo). Ce site de transhipement est conditionnée par un cartel de ‘ndrines très puissant, les Piromelli-Molé. Depuis la construction du port, les familles mafieuses disposent d’un point d’une entrée priviliégié pour le trafic de cocaïne. La Commission parlementaire antimafia affirme que toutes les activités licites du port sont aux mains des ‘ndrines. En 1991 déjà, l’Etat italien avait dissous le conseil municipal de Gioia di Tauro. Enfin, au début de cette année, les services de renseignement italiens avaient alerté le Parlement sur les infiltrations mafieuses dans ce port (cf2r.org).
L’Etat est intervenu avant que des centaines de millions d’euros d’investissements publics ne soient distribués au cours des mois à venir.
Samedi 19 avril : Etat contre ‘Ndrangheta
L’Etat :
Vendredi 19 avril 2008, la Guardia di Finanza a saisi des biens appartenant à Biagio Barberio, 34 ans. Membre de la ‘ndrine Chirillo de Paterno Calabro dans les environs de Cosenza, il a été condamné à 2 ans et 8 mois de prison pour association mafieuse. L’enquête portant sur le noyau familial, a établi une très grande disproportion entre les revenus et le niveau de vie de la famille en question.
Les militaires ont saisi une grande entreprise de matériaux agricoles et un immeuble en phase d’achèvement et comportant de luxueuses finitions. Le tout est estimé à un million d’euros.
Pour la seule province de Cosenza et depuis quatre mois, la justice a saisi quarante millions d’euros de biens à la mafia calabraise. C’est la seule manière de lutter contre le pouvoir mafieux. Il ne faut pas se mettre à leur niveau.
La mafia :
Par exemple, vendredi 19 avril, il est 9h du matin. Giulio Cesare Passafero, 40 ans sort d’un café sur la place centrale de Borgia dans la province de Catanzaro. Il prend sa voiture et n’a pas le temps de faire marche arrière. Les portes d’un fourgon s’ouvrent et les balles d’une mitraillette claquent. En fin de matinée, les carabiniers ont retrouvé le fourgon carbonisé. Sur ce territoire, ce type de meurtre est signé par la ‘Ndrangheta.
Au mois de septembre, le frère de la victime avait déjà été assassiné. Le compte n’était pas encore réglé.
De la saisie à la confiscation; de la mafia à l’Etat?
Cette semaine, la compagnie de la Garde des finances de Palmi, dans la province de Reggio (sur la carte à gauche), a saisi et confisqué des biens appartenant à la ‘ndrine Romola. Cette famille mafieuse serait liée à la ‘ndrine Parrello. A Palmi, sur la côte ionniene dans le golf de Gioia, les ’ndrines Parrello et Gallico (cf.Pâques en Calabre) se disputent la leadership du locale de Palmi. Le locale est une circonscription mafieuse en Calabre.
La confiscation, c’est à dire la saisie définitive, concerne un immeuble en front de mer et une importante entreprise de réparation de bateaux. L’ensemble de ces biens est estimé à 300 000 euros. La valeur des saisies provisoires s’élèvent à 1 millions d’euros Chaque année, les forces de l’ordre saisissent 7% des biens mafieux. La confiscation définitive est estimée à seulement 3%. Enfin, la réutilisation de ces biens posent de grandes difficultés à l’Etat italien. Dans le cas présent, que faire de l’entreprise nautique si personne n’ose reprendre activité commerciale? La réutilisation de biens mafieux est une arme capitale dans la lutte contre les mafias. La confiscation fait reculer l’impunité à condition qu’il y ait une volonté politique de réutiliser le bien. La spécialité des politiciens complices de la mafia est de laisser dépérir le bien saisi. La population se rend compte alors que l’Etat est impuissant et elle se plie au pouvoir de la famille mafieuse…