Archive pour la catégorie ‘‘Ndrangheta, mafia calabraise’
Piratage d’appels d’offre en Calabre
Le 17 juin 2008, les carabiniers de Reggio en Calabre ont arrêté 33 personnes impliquées dans des opérations de piratage d’appels d’offres. Les ‘ndrines de la côte ionnienne, les familles mafieuses Morabito-Bruzzaniti-Palamara, Maisano et Vadalà, formaient un cartel. Avec la complicité de conseillers municipaux et de fonctionnaires, elles obtenaient des marchés publics. La répartition, qui concernait aussi la construction d’une école à Bova Marina, a été décidée au cours d’une réunion au sommet des différentes ‘ndrines. Les enquêtes dilligentées par la magistrature ont révélé que tous les travaux destinés à la modernisation de la route nationale 106 avaient fait l’objet d’un accord entre les clans. La magistrature a démontré que lorsque le cartel n’avaient pas obtenu un appel d’offre, il faisait en sorte d’obtenir les contrats de sous-traitance. A des prix exorbitants, les ‘ndrines imposaient leurs sociétés pour accomplir les opérations de terrassement et le transport des matériaux de construction. Par ailleurs, ils fournissaient du ciment de très mauvaise qualité et gonflaient les factures. Enfin, ils imposaient l’embauche de personnes liées aux clans. Le piratage des appels d’off’res permet aux mafias de s’enrichir, de blanchir l’argent provennant des trafic illégaux et de contrôler le territoire.
En Italie, la magistrature et les forces de l’ordre accomplissent un travail énorme. Au lieu d’envoyer l’armée, comme le préconise le gouvernement actuel, le doublement des effectifs des magistrats instructeurs en Calabre serait un bon début.
Opération Anaconda
Le 11 juin 2008, les carabiniers de Cosenza ont arrêté 32 personnes liées à la ‘ndrine Cicero. La police attribue le meurtre d’Angelo Cerminera survenu le 4 octobre 2004 à cette famille mafieuse calabraise. La victime a été, en réalité, assassinée à la manière mafieuse dite de la « lupara biancha », c-à-d que les autorités ne retrouvent jamais le cadavre.
La ‘ndrine Cicero avait une base logistique en Espagne et elle a constitué un cartel mafieux avec les autres ‘ndrines de Cosenza : les Patitucci, les Bella-Bella et les Lanzino-Purna.
Les carabiniers ont mis fin à un vaste réseau de distribution de drogue et aux opérations de blanchiment qui découlent de ce genre de trafic. Ils ont, par ailleurs, saisi un complexe résidentiel, une discothèque ainsi qu’un magasin de matériaux de construction.
Enfin, cette famille mafieuse calabraise avait mis sur pied une banque occulte. Les militaires ont mis en évidence une trentaine de crédits usuriers ouverts au dépend d’entrepreneurs de la région. C’est la raison pour laquelle les carabiniers ont appelé leur opération « Anaconda », ce serpent géant qui étouffe ses proies à l’image des débiteurs qui sont étouffés par les dettes. Les prêts usuriers rapportent quatre milliards d’euros par an à la ‘Ndrangheta. Celle-ci est la première banque des chefs d’entreprise calabrais !
Antonino, 3 ans : victime « collatérale »
Vendredi 6 juin 2008, deux personnes circulent sur un scooter dans les rues de Melito Porto Salvo en Calabre. Le passager sort un pistolet de calibre 7,65 mm et tire deux coups de feu dans la direction d’un cycliste. Celui-ci réagit en lançant son vélo sur ses agresseurs qui prennent la fuite.
La victime, Francesco Borrello, 50 ans, a reçu une balle dans la jambe et ses jours ne sont pas en danger. Francesco Borrello est un repris de justice. Il venait de sortir de prison. En 2004, il avait tué deux personnes. La justice l’avait condamné à 16 ans de prison selon une procédure abrégée, ce qui veut dire que l’accusé avait reconnu les faits pour obtenir une peine plus légère. Par la suite, la Cour d’assise d’appel avait réduit la peine à trois ans et quatre mois lui reconnaissant la circonstance atténuante de la légitime défense.
Les journaux n’osent pas qualifier ce guet-apens de règlement de compte mafieux. Pourtant l’hypothèse la plus probable est la suivante :
Francesco Borello est lié à une ‘ndrine, une famille mafieuse calabraise. Il tient une salle de jeux. Au mois d’avril 2004, il doit mourir mais ses agresseurs tombent sur un os. Francesco Borello en tue deux et en blesse un autre. Les commanditaires patientent et décident de frapper une nouvelle fois.
Le sociologue Umberto Santino (CDS) appelle cela la « violence programmée ». La mafia est une « institution juridique » qui conteste la justice de l’Etat. En 1986, la ‘ndrine De Stefano envoie un soldat assassiner un des tueurs du chef Paolo de Stefano. Là, à côté du tribunal de Reggio, le sicaire, froid et calme, fait son chemin au milieu de la foule : « Pardon M. l’avocat, vous voulez bien vous écarter ». Puis, il tire et repart comme il était venu.
Vendredi dernier, une des balles a fini sa course dans la gorge d’un enfant âgé de trois ans qui donnait un spectacle scolaire de fin d’année. Le projectile est encore dans son cou et les médecins ne sont pas optimistes. Retrouvez les images de la scène de crime en cliquant sur ce lien.
Je dédie cet article à un ami. Le 15 août 1985, par une nuit chaude du sud de la France, je l’attendais. En sortant de chez lui, il a reçu deux balles à bout portant. Aux dernières nouvelles, un des projectiles est encore logé à la base de sa boite crânienne. En espérant qu’il en sera ainsi pour le petit garçon de Melito Porto Salvo.
Macabre Calabre
Samedi 31 mai 2008, à Roccelletta di Borgia dans la province de Catanzaro, la ‘Ndrangheta a encore frappé. Il est 19h 45 quand Salvatore Cossari, 49 ans, qui semble attendre quelqu’un, est criblé de balles. Le fusil utilisé serait une arme de guerre de fabrication russe avec une vingtaine de projectiles dans le chargeur. Avec une crosse pliable à 180 degrés, on peut la cacher facilement sous un blouson1. Cette arme onéreuse, seule une ‘ndrine a le droit de l’utiliser sur ce territoire.
Sans la moindre hésitation, la magistrature a confié l’enquête à la direction antimafia de la province (DDA) de Catanzaro. En effet, la victime était certainement affiliée à une ‘ndrine, une famille mafieuse calabraise. Elle avait déjà été accusée d’avoir prélevé le pizzo, l’impôt mafieux, auprès d’entrepreneurs. Le 22 janvier 2008, elle fut sauvée par la prescription. L’Etat pardonne, la ‘Ndrangheta rarement !
La victime était mariée à la fille de Salvatore Pilo assassiné le 24 mai 2004. La femme de la victime de samedi
avait aussi un beau-frère qui échappé de justesse à un guet-apens la semaine dernière. Enfin, la victime est liée à de nombreuses personnes assassinées (art. 39).
Le mobile du meurtre est à rechercher dans les luttes des ‘ndrines de la zone qui tentent de se répartir le trafic de drogue, les appels d’offre de la route 106 qui longe la côte ionienne (sur la carte en haut.). Le plus intéressant est que l’ensemble des liens familiaux et des meurtres avait été soigneusement détaillé dans un rapport des carabiniers. Le rapport avait été confié à un magistrat qui a été muté ailleurs. Depuis le rapport a disparu….
Cet article a été rédigé à l’aide des informations du journaliste Giuseppe Mercurio.
1. D’après Alain Rodié du CF2R, il est possible qu’il s’agisse d’un fusil d’assaut AKR calibre 5,45 mm. Il est apparu dans les années 1980 en Afghanistan lors du conflit engagé par les Soviétiques. C’est la version raccourcie de l’AK 74 (en dotation dans l’ensemble de l’armée russe) , le successeur de l’AK 47 (chambré en 7,62X39 mm). L’AKR équipe les forces spéciales et les personnels dont la première mission n’est pas le combat d’infanterie (pilotes de chars, d’hélicoptères, etc.) Comme tous les AK 74, un atténuateur de sons peut y être adapté (son efficacité est cependant très mitigée). Il accepte tous les chargeurs de la gamme allant de 50 à 20 coups (je crois qu’il existe aussi des chargeurs d’une dizaine de coups, l’avantage des capacités moindres résidant dans leur encombrement qui est plus faible). L’AKR est disponible sur le marché noir, les criminels appréciant particulièrement sa fiabilité et sa puissance (1) pour un relatif faible encombrement (cependant, le « blouson » qui le dissimule doit être assez large).
Guet-apens contre la ‘ndrine Mancuso
Les mobiles de ce guet-apens ne sont pas évidents. Pourquoi s’en prendre à deux personnes simultanément ? Pourquoi ne pas avoir achevé les victimes comme le font habituellement les tueurs de la mafia ? Cela ressemble à un avertissement. Affaire à suivre.
Arrestation de Giuseppe Nirta
Le vieux boss est un acteur de premier plan de la faida de San Luca qui voit s’opposer les ‘ndrines Nirta-Strangio contre celle des Pelle Votari. Les enquêteurs pensent qu’en 2007, le capo-bastone a assassiné en personne Bruno Pizzata, 59 ans. Il s’agissait de la première réaction à l’assassinat de Maria Strangio en 2006. Maria Strangio était la belle-fille du boss.
Giuseppe Nirta est donc le père de Giovanni Luca Nirta, celui qui a probablement ordonné la tuerie de Duisburg au mois d’août 2007 (art.6). L’arrestation du chef de la ‘ndrine Nirta, une des familles mafieuses qui a le plus de prestige au sein de la ‘Ndrangheta, est un succès des forces de l’ordre qui ont utilisé des filatures discrètes et des écoutes téléphoniques. En effet, les policiers ne peuvent pas compter sur la colaboration de « repentis ». A San Luca, la loi silence est strictement respectée.
Récemment, le procureur national antimafia avait invité les femmes de San Luca à livrer les hommes du clan encore en fuite. La réponse des femmes de San Luca ne s’est pas fait attendre. On peut voir les photos en cliquant ici.
Pour être précis :
– La première photo représente la société civile qui lutte contre la mafia. Au centre le procureur Piero Grasso tente de faire passer son message de collaboration avec l’Etat.
– Le deuxième photo représente des femmes qui soutiennent des pancartes indiquant « nous sommes les Nirta-Strangio, nos hommes ont été arrêtés sans preuve. »
– La troisième photo représente un enfant dont la pancarte indique » Des assassins ont emporté maman, l’Etat m’a pris mon père« .
– La mafia calabraise est le première mafia d’Italie. La richesse économique n’est pas sa seule force.
‘Ndrangheta : mafia « numéro un »
L’Eurispes, l’institut des études politiques, économiques et sociales, a publié son rapport 2008 sur la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise. Ce dernier confirme les études des commissions parlementaires antimafias et le rapport des services de renseignement (art .13). La mafia calabraise est devenue l’organisation criminelle la plus puissante, la plus riche et donc la plus dangereuse pour l’Etat italien. D’après l’Eurispes, le chiffre d’affaire de la mafia calabraise a été de 44 milliards d’euros pour l’année 2007. Cela représenterait 2,9% du produit intérieur brut (estimé à 1.535 milliards d’euros). Le chiffre d’affaire de la « holding ‘Ndrangheta » est équivalent à ceux de l’Estonie (13,2 milliards d’euros) et de la Slovénie (30,4 milliards d’euros) réunies.
Le secteur le plus rémunérateur demeure le trafic de drogue qui rapporterait 27,24 millions d’euros soit 62% de la totalité des profits.
La mafia calabraise, une histoire de familles
La police recherche encore Vincenzo Romeo qui est le gendre du capo-bastone (le chef de famille mafieuse calabraise). Vincenzo Romeo a une soeur qui a épousé le chef d’entreprise décédé….
Si vous ne savez plus qui est qui, c’est normal. En revanche, cette description nous permet de percevoir la dimension familiale de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise.
Enfin, la police a saisi des biens (des sociétés financières, seize comptes bancaires et onze biens immobiliers) à cette famille mafieuse. La valeur de ces biens avoisine les 15 millions d’euros. La mafia calabraise est un conglomérat de riches familles !
De la mafia calabraise, de la mémoire et des femmes
Dimanche 4 mai 2008, à Reggio Calabre, Antonio Gulli, 40 ans, ancien repenti, gère une petite salle de jeux dans le rione (quartier) Modena. Deux tueurs s’approchent tirent 5 coups de pistolet. Trois atteignent la victime au thorax : fatal. Les enquêteurs ont interrogé les nombreuses personnes présentes sur les lieux (photo à gauche) mais aucune d’entre-elle n’aurait assisté à la scène…
Antonio Gulli était membre de la ‘ndrine Serraino, une famille du centre de Reggio mais qui tire sa force de son implantation à Milan. Là, dans les années soixante, débarque Maria Serraino. Elle fait 12 enfants. Avec huit de ses « enfants soldats » et leur cousin, elle dirige en marâtre une ‘ndrine. Elle contrôle un quartier de la capitale économique de l’Italie.
A la fin des années quatre vingt dix, une de ses filles se rebelle et se repentit. Maria Serraino est condamnée à la prison à vie. A la même période, Antonio Gulli sort de la mafia calabraise et collabore avec la justice, ce qui entraîne des arrestations au sein de la ‘ndrine Serraino. En 2002, Antonio Gulli arrête de collaborer avec la justice et retourne à une vie « normale ». Il est abattu en mai 2008 !
La mafia a la mémoire longue. En 2006, un agriculteur a été assassiné par la ‘Ndrangheta. Il avait dénoncé ses racketteurs huit ans auparavant. En France, il y a encore des spécialistes de la mafia qui expliquent que les femmes n’ont pas de rôle dans l’univers mafieux.
PS : Pourquoi Antonio Gulli a t-il été tué avec une arme de poing, de face et devant témoins alors que d’autres victimes de la mafia calabraise ont été tuées à la Kalachnikov ou par le biais d’explosifs (art. 47 et art. 52) ?
Un arsenal de la mafia calabraise découvert
Samedi 3 mai 2008, à Papanice, un bourg dans l’arrière pays de Crotone, la police perquisitionne un magasin dont le propriétaire était considéré comme proche la ‘ndrine Ruselli qui s’est attaquée à la ‘ndrine Megna le 22 mars dernier. Les policiers découvrent des cartouches 7,65 mm et du cellophane. Les agents passent alors au crible, à l’aide de détecteurs de métaux, le bois adjacent. Là, ils découvrent un arsenal : une A la kalachnikov, deux fusils de calibre 12 volés en Calabre, deux revolvers, un pistolet mitrailleur Skorpion et un PM MP5 (Heckler & Koch, calibre 9×19), un pistolet de calibre 9×21, un millier de munitions et un passe montagne. Cet arsenal était enterré depuis peu en raison de l’intense activité policière dans le cadre des opérations « Héraclès » (art.32 et art. 49). L’arsenal était placé sous la responsabilité d’une personne au casier judiciaire vierge, une spécialité de la mafia. Les enquêteurs espèrent avoir trouvé les armes qui ont servi à tuer Luca Megna le 22 mars dernier (art.23).
Ce type d’opération policière est le résultat d’une opération d’intelligence à laquelle ont participé plusieurs corps de police, en particulier les hommes de l’Ert (expert en recherche de preuves matérielles) de la police scientifique.